Plus d’1,5 million de ménisques ont été réséqués depuis 2005 chez des patients souffrants d’une lésion d’origine dégénérative ou traumatique en France. Or, les recommandations de bonne conduite d’un consensus européen de 44 experts (ESSKA : European society of sports traumatology knee surgery arthroscopie) appellent à l’inverse à « Sauver les ménisques ! ». L’Institut du Mouvement et de l’appareil Locomoteur dirigé par le Pr Jean-Noël ARGENSON et situé aux Hôpitaux Universitaires de Marseille Sud (AP-HM), et le Dr Matthieu OLLIVIER, chirurgien orthopédique, spécialiste de la chirurgie conservatrice du genou, alertent sur cette situation.
L’objectif est double et en direction des professionnels, des pouvoirs publics, comme du grand public : changer les pratiques au profit des patients et obtenir une réévaluation du remboursement de l’acte chirurgical de sauvegarde des ménisques, sans laquelle le principe salvateur de réparation ne peut prospérer.
« Aujourd’hui, on pratique moins de 20 méniscectomies par an contre presque le triple il y a quelques années. C’est d’abord parce que notre expérience médicale et nos travaux scientifiques nous ont ouvert les yeux sur le besoin de réparer les lésions traumatiques et de ne plus retirer les ménisques abîmés par l’usure ou les accidents de la vie », explique le Dr Matthieu OLLIVIER. Le chirurgien orthopédique, spécialiste de la chirurgie conservatrice du genou, réalise de nombreuses opérations des ligaments croisés par an dont deux tiers comportent des lésions méniscales associées, mais aussi de nombreuses chirurgies pour des lésions méniscales traumatiques ou dégénératives isolées au cours desquelles on ne procède que rarement à leur résection systématique au profit de leur préservation.
Hôpitaux Universitaires de Marseille Sud co-auteurs de recommandations internationales
Un changement total de braquet, voire une petite révolution qui a bien du mal pourtant à s’institutionnaliser malgré l’évolution des techniques et des outils. Cela malgré la publication de plusieurs études scientifiques ayant prouvé l’absence totale de bénéfice au patient. « Dans les années 2000, une étude anglaise a pu observer qu’après 6 mois d’attente pour obtenir une date opératoire pour une méniscectomie, les patients annulaient leur intervention. Intrigués des chercheurs ont prolongé cette recherche. Ils ont tracé ces patients et découvert qu’ils avaient continué à avoir une vie normale ! », raconte le Dr OLLIVIER. Puis en 2013, un essai clinique a provoqué « un buzz énorme dans la profession ». Il a été orchestré par une équipe suédoise emmenée par le chirurgien orthopédique Raine Sihvonen. « Ils ont créé une étude versus « chirurgie placebo » au cours de laquelle la moitié de la cohorte de 150 patients a subi une méniscectomie, l’autre pas mais dans des conditions identiques concernant le protocole, la chirurgie, l’anesthésie ». Débouchant sur un verdict cinglant : « Faire une chirurgie ou on enlève le ménisque ou faire semblant de le faire », revenait au même, et de nombreuses études publiées depuis ont conclu au même résultat peu importe les symptômes rapportés initialement par les patients. La prise de conscience aujourd’hui est réelle. Entre en ligne de compte également, les pratiques et cultures médicales en lien avec les générations qui les portent, et la capacité de tout un chacun à la remise en question, ou pas.
« Philippe Beaufils, un des pères de la chirurgie méniscale en France, a lancé il y a déjà quinze ans le mot d’ordre « Sauvons les ménisques / savethemeniscus », parce qu’on sait que ce n’est pas très efficace d’enlever les pneus de la voiture s’ils sont crevés et continuer sa route sur les gentes ! Soit on change les pneus, soit on les répare, mais il ne vaut mieux pas les enlever ! », résume avec humour le Dr OLLIVIER.
Les ménisques ont un rôle de stabilisateur
« Ce sont les amortisseurs du genou » qui jouent plusieurs rôles. « Ils transforment en forces centripètes les contraintes que le fémur applique sur le tibia de façon axiale ». Concrètement, ils agissent comme « un pneu. Ils se déforment et absorbent la contrainte pour la répercuter sur toute leur surface, au lieu de points précis d’impact sur le cartilage si on ne les avait pas ». Le Dr OLLIVIER utilise l’image du camion-citerne pour souligner une autre action méconnue : « ces deux petits triangles ont des bouts arrondis et ils évitent finalement que le plateau citerne (le fémur) roule sur le tibia ». Donc, ils stabilisent le genou et augmentent la surface articulaire. Ce dernier rôle est celui de « stabilisateur antérieur car ils viennent se coincer entre le fémur et le tibia auxquels ils sont attachés, et ils empêchent ce dernier de partir vers l’avant ». D’ailleurs, dans les ruptures de ligaments croisés, les lésions méniscales sont très fréquentes car le tibia avance tellement lors de l’accident que cela provoque leur déchirure à l’arrière du genou.
Des lésions d’origine dégénérative et traumatique
Globalement deux points sont saillants. Avec l’allongement de l’espérance de vie les ménisques encaissent les contraintes à la place du cartilage et s’usent de manière inexorable mais normale. Pour le Dr OLLIVIER, rien n’a changé depuis la découverte de Lucy il y a 3,2 millions d’années ; « nous avons toujours les mêmes genoux mais comme l’espérance de vie a explosé en cinquante ans, nos ménisques eux, n’ont pas eu le temps de s’adapter, d’où les lésions dégénératives ». La douleur et les œdèmes sont générés par le poids de la surcharge osseuse et cartilagineuse. « Si on enlève les ménisques, prévient-il, on modifie complètement l’amortissement qui se produit dans le genou, et souvent le traitement est pire que le mal. D’où la décision de procéder à des traitements conservateurs durant au moins 3 à 6 mois avec port de semelles, infiltrations, traitements antalgique et anti-inflammatoire, kinésithérapie car si des améliorations doivent intervenir elles se produisent dans les 6 mois après le début des symptômes ».
Une étude scientifique de 2016, soit à peine trois ans après celle des Suédois de 2013, et co-écrite entre autres par l’Institut du mouvement et de l’appareil locomoteur (AP-HM), préconisait ces solutions avant toute décision de résection des ménisques.
Devant les résistances à faire changer les mœurs, le consensus d’experts internationaux réunissant des équipes de toute l’Europe (et trois équipes françaises dont les Hôpitaux Universitaires de Marseille Sud), a émis de nouvelles préconisations à la fois dans le champ du dégénératif et du traumatique. Dans la plus récente des deux publiée il y a quelques semaines : « On clarifie la situation, indique Matthieu OLLIVIER, mais surtout quand on est face à une rupture des ligaments croisés avec lésions des ménisques, il faut toujours réparer parce que c’est la meilleure solution pour une guérison optimale. Dans le pire des cas, si la réparation échoue on sera à même de proposer au patient une seconde tentative ou une résection de la portion non cicatrisée ».
« Il faudrait une réforme en douceur du financement »
Pour que la préservation des ménisques devienne un automatisme, un coup de pouce institutionnel s’impose selon les experts car la suture méniscale rencontre un problème : « Le système de remboursement par la sécurité sociale n’a pas évolué malgré les recommandations médicales, regrette le Dr OLLIVIER. Nous opérons régulièrement des patients pour qui nous utilisons 5 ou 6 points de suture par ménisque, les dispositifs utilisés sont coûteux et la sécurité sociale n’en rembourse que 2 par procédure ! ». Les établissements publics et privés engagés dans ces nouvelles pratiques, celles que défend la communauté des spécialistes de l’arthroscopie, le font « à perte » pour l’intérêt des patients. Cela constitue un frein à l’évolution des pratiques médicales au détriment de la qualité de vie des patients.
« À l’AP-HM Nous sommes un établissement public et nous réparons les ménisques systématiquement et de manière qualitative, sauf dans les cas où les ménisques ont souffert pendant trop longtemps de lésions anciennes devenues à force irréparables. Ainsi 99% des malades concernés bénéficient d’une suture de leur lésion méniscale traumatique. Mais si on veut passer un cap, il faut une prise en compte sur le plan administratif et financier », ajoute le Dr OLLIVIER. L’idéal selon lui serait « une réforme en douceur qui serait soutenue par un financement adéquat de la réparation du ménisque ».
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