L’exploration spatiale, sans doute plus que n’importe quelle autre activité humaine, stimule notre imaginaire, éveille la part d’enfance qui subsiste encore en chacun de nous. L’idée même de voyage dans l’espace implique un changement radical d’échelle où, fait rare, se conjuguent à merveille l’humilité, le rêve et l’ambition. Les astronautes le savent mieux que quiconque : nous sommes bien peu de choses dans cette immensité qui, malgré la somme des connaissances acquises, continue de dépasser l’entendement. C’est la raison pour laquelle dans tout projet d’exploration spatiale, la santé est une donnée fondamentale, objet de toutes les attentions.
Malgré une hygiène de vie irréprochable, une condition physique optimale, un entraînement rigoureux et une surveillance continue de leur état de forme générale, les astronautes ne sont pas à l’abri d’un accident ou d’un problème de santé. Fût-il mineur, lorsque ce problème survient dans l’espace les conséquences peuvent être absolument désastreuses. Un exemple connu est celui de Vladimir VASSIOUTINE, membre d’équipage de la station soviétique Saliout 7, qui en novembre 1985 s’est vu contraint d’abandonner sa mission pour être rapatrié de toute urgence sur terre, après seulement 65 jours sur les 6 mois prévus. En cause : les complications d’une prostatite.
Si, depuis, le matériel et les techniques ont considérablement évolué, les équipes des agences spatiales sont constamment en recherche de solutions adaptées aux problèmes de santé pouvant compromettre les missions, quand ce n’est pas la survie des équipages. D’autant que l’objectif est d’aller toujours plus loin, par-delà l’orbite terrestre, à des distances telles que toute évacuation deviendra impossible à mettre en œuvre. Depuis Mars, un message met 20 à 40 minutes pour être reçu par la base terrestre. La réponse mettra un temps équivalent à parvenir à l’équipage. Un délai inconcevable en cas d’urgence médicale.
Le médecin membre d’équipage d’une mission spatiale prolongée et lointaine devra être en mesure d’intervenir en médecine d’urgence, ainsi que pour tout ce qui concerne la dentisterie et la petite traumatologie. Afin d’améliorer encore la sécurité des astronautes lors des missions, le Centre National d’Etudes Spatiales (CNES [3]), l’Institut de Médecine et Physiologie Spatiale (MEDES [4]) et la Société Française de Radiologie (SFR [5]) ont noué un partenariat en 2020. La collaboration est axée sur trois thématiques majeures :
Avec un matériel peu encombrant et des actes de chirurgie mini-invasive pouvant être réalisés sous anesthésie locale, la radiologie interventionnelle s’avère effectivement très adaptée aux contraintes extrêmes des missions spatiales, en termes de place et d’environnement de travail.
Le Professeur Vincent VIDAL, Chef du service de Radiologie Interventionnelle à l’Hôpital de la Timone, joue depuis le début du partenariat un rôle de premier plan dans la recherche et l’élaboration de procédés novateurs, avec plusieurs autres experts du pôle Imagerie de l’AP-HM : Dr Guillaume LOUIS, Dr Farouk TRADI, Dr Philippe DORY-LAUTREC (Hôpital de la Timone), Dr Jérôme SOUSSAN et Dr Simon RAVAUD (Hôpital Nord).
Un premier challenge a été de concevoir un kit spatial de radiologie interventionnelle aussi compact et polyvalent que possible. Sous la direction du Pr VIDAL, une douzaine d’équipes de radiologues a travaillé simultanément sur ce projet, avec une liste de 11 scénarios et pathologies spécifiques à prendre en compte. C’est ainsi que le Mars IR Toolbox a vu le jour (IR pour Interventional Radiology).
« Il faut imaginer pratiquer une intervention en micropesanteur, dans un contexte radicalement différent de celui que nous connaissons ici. Même les aspects les plus simples ont dû être repensés. Nous avons testé cette boîte à outils pour la première fois en juillet 2023 en Suisse, au cours de la mission analogue Asclepios III. »
« Les missions analogues visent à simuler les conditions d’isolement, de confinement extrêmes que l’on peut expérimenter dans l’espace. Les astronautes avaient pour mission, après une phase d’entraînement sous la direction du Pr Julien FRANDON du CHU de Nîmes, de gérer à l’aide du kit une situation de rétention urinaire sévère en réalisant un drainage percutané de la vessie. Ils se sont filmés et nous avons pu après-coup analyser avec eux l’ensemble de la procédure. L’un des astronautes est ensuite venu faire une démonstration aux Journées Françaises de Radiologie. » (Pr VIDAL)
Ces deux étapes ont fait l’objet de publications dans la plus grande revue de radiologie interventionnelle européenne : Cardiovascular and Interventional Radiology.
En 2024, les équipes projettent de réaliser à Bordeaux une simulation encore plus poussée, en vol parabolique à gravité zéro à bord de l’airbus A310 zéroG.
« C’est surtout le comportement du matériel que nous souhaitons mettre à l’épreuve dans ces conditions si particulières. Un exemple : inciser et ponctionner un abcès en microgravité implique de disposer d’un système parfaitement clos pour recueillir le pus, faute de quoi il se répandra partout dans la cabine. De même, les instruments doivent être toujours au contact du médecin, par des systèmes d’aimantation ou d’attaches. Avec ce vol nous pourrons affiner notre cahier des charges pour la fabrication de l’équipement définitif, qui partira sur la lune via la mission Artemis, puis nous l’espérons sur Mars. Sachant qu’une mission sur Mars dure a minima 3 ans, il est primordial que les équipages soient bien équipés et parfaitement préparés. » (Pr VIDAL)
Un processus qui ouvre de manière exponentielle les champs d’intervention en Radiologie Interventionnelle, pas uniquement du côté de l’exploration spatiale mais aussi vers les déserts médicaux, pour la prise en charge de pathologies habituellement traitées au bloc opératoire.
« Au fond Mars, c’est un peu comme le Sahel. Ce que nous élaborons pour les missions spatiales pourra sans nul doute servir dans les zones isolées ou dépourvues de tout équipement. Le Mars IR Toolbox ce sont des outils relativement simples, faciles à transporter et polyvalents qui pourraient profiter à des populations dans le besoin. »
Nous rejoignons là une autre facette de l’engagement du Pr VIDAL, à l’initiative de multiples innovations pour lutter contre les inégalités d’accès aux soins, comme les projets FairEmbo [6] et EmboBio dont nous reparlerons prochainement.
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Links
[1] https://fr.ap-hm.fr/print/822970
[2] https://fr.ap-hm.fr/printpdf/822970
[3] https://cnes.fr/fr
[4] https://www.medes.fr/
[5] https://www.radiologie.fr/
[6] http://fr.ap-hm.fr/actu/fairembo-un-procede-d-embolisation-equitable-developpe-a-l-ap-hm
[7] https://link.springer.com/article/10.1007/s00270-023-03392-3
[8] https://link.springer.com/article/10.1007/s00270-023-03623-7
[9] https://fairembo.fr/
[10] https://youtu.be/BafyxpITDUQ?si=rQQpTyAjhHLA4u7X
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