Du classique à l’hôpital ? « Y' a pas plus classe »

Ils sont une quinzaine pour assister au concert. De jeunes hommes pour la plupart, peut-être 18, 20 ans. Comme il fait trop chaud dehors, dans la cour où était initialement prévu l’événement, c’est dans une petite salle qu’il va avoir lieu. Les jeunes étudiants musiciens du Conservatoire Pierre Barbizet Marseille (INSEAMM) et leur enseignant s’installent, puis l’équipe de soins fait entrer les patients-détenus. Nous sommes à l’Unité Hospitalière Spécialement Aménagée (UHSA), un service psychiatrique hospitalier de l’Hôpital Nord qui accueille des détenus présentant des pathologies psychiatriques aigües, nécessitant une hospitalisation à temps complet.

La proximité avec le public est immédiate. Ceux qui sont assis au premier rang se trouvent à moins d’un mètre des jeunes étudiants du Conservatoire. Ces derniers, d’ordinaire parfaitement à l’aise dans des configurations de ce type, sont d’autant plus intimidés par le contexte et la situation. Le trac était déjà monté d’un cran au moment du franchissement, avec les instruments, du sas de sécurité. Les vérifications, le fait de devoir laisser son téléphone dans un casier à l’entrée, le détecteur de métal et les grilles rappellent à tout visiteur que l’espace dans lequel il pénètre n’est pas anodin. Au sein du service cependant, les signes de détention sont quasi absents. Pas de grille ou de porte blindée, des couloirs et des salles somme toute banals.

Marc Vieillefon, l’enseignant qui accompagne ses étudiants dans cette singulière représentation, a pour sa part une grande habitude de ce type de concerts dans des espaces et devant des publics « atypiques ». Parfaitement à l’aise, il échange avec les patients avec le plus grand naturel, souvent sur le ton de l’humour.

« On va vous jouer de la musique classique » annonce-t-il après s’être présenté et avoir présenté le groupe, ce à quoi un jeune répond : « le classique y' a pas plus classe, non ? J’espère que vous allez nous honorer ». Le ton est donné. Musique classique, musique de chambre, airs d’opéra… il est vrai qu’il faut un certain courage et beaucoup de conviction de la part des musiciens pour interpréter un répertoire aussi éloigné de ce qu’écoutent habituellement les jeunes présents dans la salle. Mais c’est précisément en cela que l’expérience s’avère profitable à tous, aux musiciens comme à leur public et à l’équipe de soins.

Entre les morceaux, un jeune patient commente beaucoup, parfois un peu dans la provocation mais jamais de manière agressive. C’est sa manière d’entrer en interaction, de se mettre sur le devant de la scène, lui aussi. Passées les quelques minutes de trac, les étudiants trouvent leurs marques, jouent avec énergie et s’investissent totalement dans la musique. Ils répondent également aux commentaires et aux questions avec franchise, humour, fiers de leur parcours et de leur passion mais sans la moindre manifestation d’orgueil. Ils se donnent entièrement dans ce qu’ils font et leur public s’en rend compte, apprécie.

Un regard extérieur pourrait ressentir une forme de gêne à voir d’un côté ces étudiants qui, en cet instant, semblent avoir tout pour eux (talent, passion, projets…) et de l’autre ces jeunes en souffrance, en difficulté dans bien des aspects de leur existence. En réalité il n’en est rien. Une forme d’égalité se crée d’emblée. Les patients détenus sont, avant toute chose, le public. Le concert est donné pour eux. Ce sont eux qui accueillent et sont en position d’apprécier, dans tous les sens du terme, la musique.

« Le violon vous le faites pleurer, vraiment. Moi ça me touche dans le cœur. »

Ce sont de tels moments de rencontres improbables qui contribuent à ouvrir des horizons, même et peut-être surtout dans le milieu pénitentiaire.

Ce concert à l’UHSA s’inscrit dans une série de 4 représentations organisées durant l’été 2024 dans différents services de l’AP-HM : Néonatologie, SMPR Baumettes, Centre d’Actions Médico-Sociale Précoce. Le partenariat avec le Conservatoire Pierre Barbizet a vu le jour grâce au projet culturel des Hôpitaux Universitaires de Marseille, « Parcours d’hospitalité [3] »

Les étudiants musiciens : Loic Basille (voix), Maxence Repellin (piano), Alan Gued (piano), Chiara Bartalucci (flûte traversière), Esma Mehdaoui (voix)

Enseignant : Marc Vieillefon (violon)