« Ça a l’air simple, mais c’est le résultat de beaucoup de travail. Ce que vous voyez là, c’est magnifique ! »
Devant les patients et patientes en train de se mouvoir avec un plaisir manifeste, leur corps à présent agile et délié dans la danse, je ne peux qu’approuver ces paroles d’Emilie GARETIER. Je songe que ce plaisir du relâchement dans la maîtrise, ou de la maîtrise dans le relâchement, pourrait probablement être une définition appropriée de la grâce.
Emilie GARETIER est danseuse, membre de la compagnie de Michel Keleminis depuis un peu plus de 10 ans. J’assiste à la dernière séance d’un atelier qu’elle anime depuis quasiment 2 ans auprès de patients atteints de douleurs chroniques, grâce à un partenariat entre l’AP-HM et le Klap Maison pour la danse [3].
La danse comme remède contre la douleur ? Sans aucun doute possible lorsqu’elle est adaptée, pratiquée ainsi, dans ces conditions.
Avant d’être suivis au Centre d’Evaluation et Traitement de la Douleur [4] par le Dr Stéphanie RANQUE GARNIER, ces patients ont connu, pour certains des années durant, les affres de l’errance thérapeutique. Douleurs, fatigue intense et continue, hypersensibilité, sommeil non réparateur, troubles cognitifs… lorsqu’elle n’est pas correctement soignée et suivie, la fibromyalgie est une spirale infernale. Toutes les dimensions de l’existence sont affectées, au quotidien. Vie familiale, relations sociales et activité professionnelle finissent par se réduire à peau – à corps tout entier – de chagrin.
L’atelier de danse adaptée a pu voir le jour grâce à la convergence de trois démarches complémentaires : Sophie BELLON CRISTOFOL coordonne les initiatives culturelles et artistiques au sein de l’AP-HM avec le programme Parcours d’Hospitalité [5]. Elle tisse pour cela de nombreux partenariats avec les acteurs culturels du territoire. Le Dr Stéphanie RANQUE GARNIER est depuis déjà de nombreuses années particulièrement engagée dans une prise en charge globale, interdisciplinaire et pluriprofessionnelle des personnes atteintes de douleurs chroniques. La pratique d’activités physiques adaptées est au cœur même des soins qu’elle propose avec le programme « Ca mouv en Corps » au CETD (Centre d’Evaluation et Traitement de la Douleur) de la Timone et elle a développé à cet égard une remarquable expertise. Emilie GARETIER a, quant à elle, toujours eu à cœur de faire découvrir la danse à différents publics, en l’utilisant principalement comme vecteur d’expression et mode de reconnexion au corps.
Il n’est pas rare que les équipes soignantes fassent d’une action culturelle un support pour leur pratique. Mais ici, ce qui était au départ une proposition d’activité artistique est véritablement devenu, à part entière, un atelier à visée thérapeutique. Emilie GARETIER a été formée par l’équipe du Dr RANQUE-GARNIER et a beaucoup échangé avec cette dernière de manière à proposer des séances en parfaite adéquation avec les besoins des patients et les principes fondamentaux de la prescription d’activité physique adaptée :
« Il faut d’abord comprendre que l’activité physique, pour être thérapeutique, doit pouvoir en permanence être adaptée à trois critères essentiels : les goûts de la personne, ses besoins physiologiques et liés à sa maladie ainsi que la condition dans laquelle elle se trouve le jour de la séance. C’est donc l’inverse d’une pratique sportive qui fait obéir le pratiquant à des règles prédéfinies dans un but de performance physique ou artistique. » (Dr RANQUE-GARNIER)
La séance à laquelle j’assiste est suivie par 11 patients (5 en présentiel, et 6 en visio). L’atelier a toujours fonctionné en étant totalement ouvert, sans frein financier. Pas de régularité imposée, possibilité de prendre la séance en cours de route ou de s’arrêter avant la fin, de la suivre à domicile ou directement dans la salle. L’accent est mis tour à tour sur le mouvement, la coordination, les étirements, l’équilibre, la respiration, les sensations… Bien souvent ces personnes étaient sportives et très actives avant que la maladie vienne bouleverser leur vie, entraver leurs envies. Emilie veille constamment à ce qu’elles trouvent un juste rapport à l’effort, alternant les formats et proposant régulièrement des pauses pour récupérer et s’hydrater. La bienveillance est toujours de mise et je la perçois tout au long de la séance, dans les paroles qu’Emilie prononce mais aussi dans l’attention qu’elle porte à chacun :
« On va là où ça fait du bien », « on ne force pas, toujours en respirant », « je vous laisse faire à votre rythme », « Si aujourd’hui le bras ne monte pas, eh bien il ne monte pas. On fait ce qu’on peut dans l’instant, sans jugement », « on peut prendre le temps de dérouler, de masser, d’aller à son rythme ».
De petits rituels sont également mis en place. Les rituels présentent plusieurs intérêts. Ils mettent en condition, dans le bon état d’esprit. Ils rassurent car les gestes sont connus et ont été répétés. Les patients peuvent se les approprier, les reproduire chez eux à tout moment. En suivant l’atelier en visio, ils réalisent également qu’il est possible d’expérimenter, de faire avec ce que l’on a sous la main en détournant des objets usuels pour en faire des supports de mieux-être : une rambarde d’escalier, des chaises etc…
L’objectif premier de ces séances est que les patients prêtent attention aux mouvements, aux potentialités du corps plutôt qu’aux douleurs. A ce titre le Dr RANQUE GARNIER est formelle :
« La motricité est prioritaire pour le cerveau. Tout le système nerveux privilégie la motricité, et le toucher, devant la douleur. Or la fibromyalgie n’est ni un problème de fibres, ni un problème de muscles. C’est plutôt du côté de la neuroplasticité cérébrale qu’on la situe. Son déclenchement est provoqué par tout stress de l’organisme, comme un manque de sommeil, des douleurs répétées, qui peuvent être en lien avec une maladie rhumatologique, auto immune, neurologique, ou encore faire suite à une infection telle que grippe, CMV, EBV, Lyme ou COVID. Enfin, les traumatismes physiques et/ou psychiques peuvent également faire partie des facteurs déclenchants. »
Les experts préfèrent aujourd’hui utiliser l’appellation "nociplastie étendue" plutôt que fibromyalgie. Pour la traiter aucun médicament n’a fait preuve d’efficacité. Au Centre d’Evaluation et Traitement de la douleur de l’Hôpital de la Timone, ce sont avant tout l’éducation thérapeutique, la thérapie cognitivo comportementale permettant la gestion des rythmes, émotions et stress, la formation aux techniques psychocorporelles (autohypnose, cohérence cardiaque, pleine conscience) mais aussi et surtout les activités physiques adaptées qui permettent de trouver les voies personnalisées du soulagement. Le Docteur RANQUE-GARNIER n’hésite pas à parler « d’Université de la douleur », permettant l’acquisition d’un savoir spécifique sur ce qui est ressenti et pourquoi, sur la trousse à outils à utiliser, les ressources internes à mobiliser. De même que le cerveau d’un musicien, par exemple, se remodèle par la pratique instrumentale, L’activité physique adaptée, pratiquée de manière régulière, façonne elle aussi une neuroplasticité de façon bénéfique, en inversant la tendance nociplastique.
Emilie GARETIER, de l’avis de tous, soignés et soignants, a su insuffler un véritable esprit de groupe et s’adapter à merveille à toutes les problématiques. Un groupe Whatsapp a été créé de manière à ce que les échanges puissent perdurer en dehors de l’atelier.
A la fin de la séance j’entends l’une des participantes s’adresser à Emilie avec ces mots : « mon corps te remercie ».
C’est que le corps, par la pratique de la danse, redevient ressource plutôt qu’entrave perpétuelle.
« Pour des personnes qui se sont senties trahies par leur corps, l’atelier permet de retrouver confiance » explique Emilie. Et le Dr RANQUE GARNIER d’ajouter : « il s’agit de relancer le cerveau non plus dans l’exacerbation des perceptions dysfonctionnelles mais dans le mouvement, la coordination, l’équilibre, le plaisir. C’est ça le traitement. Et en plus c’est beau ! »
Mais bien sûr, impossible de prendre vraiment la mesure des bienfaits de l’atelier sans écouter les patients en parler. L’une d’elles me confie :
« Je marchais avec une canne, je dormais mal ne pouvait me passer des opiacés et antalgiques. Je suis suivie à la Timone depuis juillet 2022. J’ai suivi toutes les séances de danse adaptée et j’ai commencé à en ressentir les bienfaits après 4 mois. J’ai retrouvé de la souplesse, je me suis sevrée des médicaments et, surtout, j’ai pu reprendre le travail en mi-temps thérapeutique. Ça m’a redonné confiance, redonné goût à la vie sociale. »
Une semaine plus tard, trois autres témoignages me parviennent par email :
« Le maître mot dont j’ai pris conscience lors des mouvements de danse adaptée, c’est la douceur :
ne pas contraindre mon corps qui me fait tellement mal - pendant un simple exercice d’assouplissement ou en maintenant une posture assise idéale par exemple – que je n’arrive pas à l’aimer. Sportif depuis mon enfance, j’ai toujours eu la culture de l’effort et j’ai accepté la douleur physique pour la performance. Avec Emilie, j’ai appris à bouger délicatement en pleine conscience. J’ai ainsi eu la sensation de renouer avec mon corps, qu’il me faisait du bien et que je le lui faisais du bien. Mon corps et moi étions en harmonie. Et ça fait plaisir ! Cette initiation a été une belle expérience, très riche en enseignements par rapport à mon approche thérapeutique de ma fibromyalgie. Cordialement, David » |
« Je ne suis pas encore guérie certes, mais ma vie a radicalement changé, en bien, depuis que je fais les séances. Ce projet est pour moi une réussite qui est allée au-delà de mes espérances.
J'ai 62 ans, une spondylarthrite, une fibromyalgie et des séquelles dues à un lourd passé médical et chirurgical. Avant mon RDV avec le docteur RANQUE je n'avais plus de solution pour pouvoir continuer à vivre et je ne savais pas combien de temps j'allais arriver à survivre. Toutes les thérapies avaient échoué. Ceci explique ma persévérance. Après chaque séance, je me sens mieux. J’ai l’impression que chaque os et chaque muscle, prennent leur bonne place en douceur. Je commence à lâcher prise et à me réconcilier avec mon corps. Mais surtout, mes douleurs diminuent et sont de moins en moins difficiles à gérer. Je suis heureuse d’avoir retrouvé une posture normale, (de pouvoir tenir assise sans hurler de douleur, que l'on ne m'aide plus à traverser la route, et beaucoup plus). Je suis heureuse aussi de ne plus avoir besoin de prendre de morphine et d'être arrivée à arrêter de fumer.
Même à travers zoom (séances à distance), c'est un peu comme si j'avais un coach personnel qui m'aide dans mes efforts et me donne l'envie d'avancer vers une vie meilleure. Quand je pense au nombre de personnes qui souffrent de façon chronique, je pense que ces séances devraient être généralisées. Merci à vous de nous aider, afin que l'on puisse continuer à aller beaucoup mieux. Catherine » |
« Je souhaitais remercier Emilie pour sa patience, sa bienveillance et son professionnalisme. Grâce à elle j’ai pu reprendre confiance en mon corps.
Après 3 ans d’arrêt de travail, une craniectomie et 2 maladies rares j’étais bloquée, tétanisée par mes troubles de l’équilibre, et mes douleurs et surtout par la crainte de me faire mal. Grâce à Emilie, et à la régularité de ses cours j’ai repris confiance et je sens de vrais progrès. J’ai également ressenti un bienfait de par l’adhésion à un groupe de femmes, c’est fou mais même par web conférence on arrive à être reliées toutes ensembles. J’espère que les cours d’Emilie pourront reprendre. Merci à vous Sophie » |
Cette action a reçu le soutien de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur, la Direction des Affaires Culturelles Provence-Alpes-Côte d’Azur et l’Agence Régionale de Santé Provence-Alpes-Côte d’Azur dans le cadre du programme Culture Santé Handicap et Dépendances.
Yann LEBLANC, Rédacteur, Direction Communication, Culture et Mécénat, Hôpitaux Universitaires de Marseille
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[1] https://fr.ap-hm.fr/print/822676
[2] https://fr.ap-hm.fr/printpdf/822676
[3] https://www.kelemenis.fr/fr/
[4] https://fr.ap-hm.fr/service/centre-evaluation-traitement-douleur-hopital-timone
[5] http://fr.ap-hm.fr/parcours-d-hospitalite
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