Colloque psychiatrie psychanalyse la clinique comme boussole - quel nouage aujourd'hui
Jeudi 26 et vendredi 27 septembre 2019
109, avenue du Petit-Barthelemy
13090 Aix-en-Provence
Programme
L’air du temps et le nôtre par Hervé Castanet
Numéro 1 :
Ce colloque n’est pas dans l’air du temps et c’est justement pourquoi il est urgent de l’organiser. L’air du temps est scientiste et même un ministre de l’Éducation, fasciné par les découvertes des apprentissages cognitifs qu’un professeur au Collège de France vulgarise dans des ouvrages publics, veut réduire l’échec scolaire par une meilleure prise en charge de ce que le cerveau rend possible. La pensée devient matérialité et s’explique par les usages neuro-cérébraux. Cet air du temps n’aime pas le trésor clinique de la psychiatrie renvoyé à l’histoire vieillie de la discipline, rêve à nouveau des localisations cérébrales et même que la rationalité de la neurologie donne consistance à une psychiatrie encore trop approximative, trop relative, trop à l’écoute des « propos » des patients. Cet air du temps n’aime pas, non plus, la psychanalyse qu’il traite de haut : quels sont vos protocoles, vos expériences, vos preuves et, si preuves il y a, en quoi relèvent-elles de l’évidence du constat scientifique, quelles sont vos statistiques ? Comme l’air du temps est libéral, on consent à la psychanalyse, enfin si elle veut bien être discrète voire secrète, réduite à un bavardage, parfois sympathique et utile, mais hors les règles de la clinique. Pour l’air du temps, la psychanalyse, comme la poésie ou l’art, n’est pas clinique ou de façon cosmétique. La formule est-elle outrancière ? Un député l’a prise au sérieux lorsqu’il proposa à la représentation nationale d’interdire tout bonnement la psychanalyse dans la prise en charge de l’autisme. Pourquoi ? L’autisme est trop sérieux pour que les analystes en parlent et agissent ! Seul le cerveau dit vrai…
Lacan, lui, n’a jamais cessé ce dialogue entre la psychiatrie et la psychanalyse qu’il était en train de réinventer et pas seulement parce qu’il était psychiatre de formation. Ce dialogue était essentiel pour lui. En 1967, ne fait-il pas une conférence sous le titre La Psychanalyse et la formation du psychiatre ? Par quel bout le prendre ? En affirmant leur nouage comme le titre du colloque l’indique. Certes, mais quel nouage ? C’est la clinique et elle seule qui noue psychiatrie et psychanalyse. Formule tautologique, dira-t-on. Tout dépend comment nous définissons la clinique. Suivons Lacan : la clinique « est le réel en tant qu’il est l’impossible à supporter ». Est-ce une formule exclusivement destinée aux analystes ? Pas du tout. C’est la définition de la clinique et pour la psychiatrie et pour l’analyste. Une petite voix rétorque : Il faudra le démontrer. Notre réponse : Nous le ferons !
Le dire ainsi ne ferme pas le débat mais l’ouvre. Écoutons Lacan : « La clinique psychanalytique doit consister non seulement à interroger l’analyse, mais à interroger les analystes, afin qu’ils rendent compte de ce que leur pratique a de hasardeux, qui justifie Freud d’avoir existé. La clinique psychanalytique doit nous aider à relativiser l’expérience freudienne. C’est une élucubration de Freud. J’y ai collaboré, ce n’est pas une raison pour que j’y tienne. Il faut tout de même se rendre compte que la psychanalyse n’est pas une science, n’est pas une science exacte » (« Ouverture à la Section clinique », Ornicar ?, N° 9, 1977). Les analystes ne feront pas la leçon : la clinique les interroge. Faut-il encore qu’ils veuillent le savoir. Pour qu’ils le sachent, il y faut le dialogue.
Numéro 2 :
Notre boussole est une affirmation : la clinique, et elle seule, est ce qui noue psychiatrie et psychanalyse. Mais qu’entendre par clinique ? Nous avons, dans notre Numéro 1, cité Lacan pour nous orienter : la clinique « est le réel en tant qu’il est l’impossible à supporter ». Une telle définition, datée de 1977, a un préalable qui, à ne pas être dégagé, réduit cette affirmation à une incantation aux accents magiques : la nécessité de construire la clinique en terme de causalité. N’est-ce pas là l’évidence ? Effectivement, sans causalité, impossible de poser un champ conceptuel et de l’ordonner pour en tirer des conséquences. Causalité et concept sont indissociables. Georges Canguilhem ne dit pas autre chose et c’est justement sous l’égide d’une citation de cet épistémologue, philosophe des sciences du vivant et médecin, que les Cahiers pour l’Analyse (dont le conseil de rédaction était constitué de A. Grosrichard, J.-A. Miller, F. Regnault) ont positionné leurs recherches : « Travailler un concept, c’est en faire varier l’extension et la compréhension, le généraliser par l’incorporation des traits d’exception, l’exporter hors de sa région d’origine, le prendre comme modèle ou inversement lui chercher un modèle, bref lui conférer progressivement, par des transformations réglées, la fonction d’une forme. » Ainsi va le concept de la « ponctuation » dont Jacques-Alain Miller écrivait en 1966 en le reliant immédiatement à la cause : « Énoncer que la structure est à saisir dans le temps de son action nous oblige à suivre ce qui se perpétue de l’opération structurante dans ce qui en résulte. La différence de ces deux termes revient à rien pour la physique classique, qui tient l’épuisement de la cause dans son effet pour la condition nécessaire de la rationalité du réel. À cause pleine, effet total, dit Leibniz et réfute Descartes par le principe » (« Concept de la ponctuation », Cahiers pour l’Analyse, n° 5, Ponctuation de Freud). Que l’on tente d’appliquer cette formule, issue du champ logico-philosophique, à la psychiatrie et l’on saisit mieux en quoi, par exemple, le Traité du grand Kraepelin est la tentative puissante de structurer le champ clinique selon une logique déductive où chaque entité dite psychiatrique trouve sa légitimation. Mais chez le psychiatre allemand, la causalité est organique, dit une voix critique, sûre d’elle-même ! L’hypothèse est présente car la réfuter aurait signifié, à son époque, une sortie immédiate du champ de la médecine. Mais toutes ses nombreuses descriptions de cas sont la tentative de montrer en acte l’autonomie – même s’il ne peut l’écrire aussi explicitement – de la causalité de la vie psychique. Formule exagérée, lecture rétroactive du maître, diront certains. Kraepelin l’écrit lui-même : la psychiatrie « s’occupe de la thérapeutique de l’âme, et son domaine comprend donc les maladies de l’âme. […] La folie transforme toute la personnalité intellectuelle. Elle bouleverse l’ensemble de ces facultés psychiques qui élèvent l’homme au-dessus des autres êtres, bien plus que les qualités physiques, et constituent le fond même de sa nature. […] Aussi connaître ces troubles, c’est exploiter une mine de découvertes dont l’étendue embrasse tout ce qui a trait à la vie de l’âme. L’étude de la folie ne nous dévoile pas seulement une quantité de lois générales […] » (Introduction à la psychiatrie clinique, 1905, Navarin éditeur). Oui, le psychiatre le martèle : les « lois générales » (de la folie) bouleversent les « qualités physiques » (et non l’inverse).
Lorsque, bien des années plus tard, Lacan dialogue avec son ami le psychiatre Henri Ey, il rédige en 1946 un article long et assuré justement sur la cause : « Propos sur la causalité psychique » (Écrits, p. 151-193). Après avoir réfuté la théorie organiciste de la folie chez Ey, empruntée à l’organo-dynamisme de Jackson, il présente la « causalité essentielle de la folie ». Qu’on relise les exceptionnelles pages 151-162 où Lacan démontre la différence entre neurologie et psychiatrie puisque la seule causalité organique, si elle est exclusivement promue, ne permet pas de distinguer « l’aphasie de la démence, l’algie fonctionnelle de l’hypochondrie, l’hallucinose des hallucinations, ni même certaine angoisse de tel délire ». Pourquoi ? Parce que les « dissolutions » dans les fonctions de l’organisme à son monde sont, malgré des formes apparemment semblables prises dans l’observation, radicalement différentes dans les « troubles neurologiques » et dans les « troubles psychiatriques ». La causalité n’y est pas la même : organique dans un cas, psychique dans l’autre. Prouvez-le ! Pour cela, nous continuerons dans le Numéro 3 avec l’exemple choisi par Lacan : le cas du malade célèbre de Gelb et Goldstein « atteint d’une lésion occipitale détruisant les deux calcarines » et présentant une « cécité psychique ». Nous y retrouverons, et ce n’est pas un hasard, ce que Lacan, en 1957-58, dépliera dans sa Question préliminaire…, aux pages 531-540, à propos de la logique de l’hallucination : le percipiens est « équivoque ».
Oui, dialoguons cliniquement ! Pour cela, il nous faudra être plutôt contre Leibniz : que devient notre clinique lorsque « à la cause nous reconnaissons un excédent » (J.-A. Miller) qui ne se résorbe pas exhaustivement dans son effet ? Cet « excédent » (et cet « équivoque ») dont il est question est le pas qui sépare la neurologie de la causalité psychique dont s’occupent et la psychiatrie et la psychanalyse, qui distingue le cerveau de la folie.
À suivre