Innovation technologique et prévention des détresses vitales
Assurer la surveillance des patients de manière optimale, c’est être en mesure de prédire une éventuelle aggravation au lieu de la subir. Si le postulat peut sembler évident, dans la réalité les médecins réanimateurs sont le plus souvent appelés au moment même de l’urgence vitale et non en amont. Dans un établissement comme l’Hôpital de la Timone, doté de plus de 630 lits et où chaque année entre 30 000 et 35 000 patients sont admis en hospitalisation conventionnelle, assurer une surveillance constante et complète des signes vitaux relève d’un véritable défi. Conscient que cette problématique est l’une des pierres angulaires de la sécurité et de la qualité des soins le Docteur Valery BLASCO, Chef d’Unité Fonctionnelle dans le service de Réanimation polyvalente des pathologies du foie (RPPF) du Pr Nicolas BRUDER, est à l’initiative d’un projet qui fait école en la matière.
« Nous avons équipé tout le bâtiment de 50 appareils qui permettent d’assurer un monitorage continu dans les services d’hospitalisation. Les principaux paramètres vitaux des malades, fréquence respiratoire, saturation en oxygène, température, tension artérielle… fonctionnent comme des indicateurs grâce auxquels un score d’alerte précoce est déterminé. » (Dr Valery BLASCO)
Les détresses vitales concernent chaque année environ quinze patients pour mille admissions. Une évaluation poussée de la chaîne de survie intra-hospitalière a permis au Docteur BLASCO de mettre en lumière la typologie des détresses vitales et de mesurer le niveau de performance de leur prise en charge, et ce à toutes les étapes du parcours de soins (taux d’appels, délai d’intervention, gravité initiale, taux de transfert en réanimation, mortalité).
Hors pandémie et exceptés les arrêts cardiaques qui concernent deux patients sur mille, les médecins réanimateurs sont surtout confrontés à :
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des détresses respiratoires (43%)
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des détresses circulatoires (31%)
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des détresses neurologiques (22%)
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des troubles métaboliques graves (5%)
Comment parvenir à mieux anticiper ces événements ? Comment repérer à temps les signes d’aggravation ? Le Dr BLASCO a d’abord constaté au sein des services une surveillance imparfaite de la fonction respiratoire, due essentiellement à un manque de moyens techniques. Il a également mis en évidence que les critères d’appel étaient trop restreints, polarisés sur le concept de détresse même et non sur les signes avant-coureurs.
L’équipement des services avec 50 scopes de surveillance multi-paramétriques (Masimo Rad 97), grâce à un financement de l’ARS, s’est donc accompagné d’un travail de fond sur la modification des protocoles et critères d’appel avec l’adoption de scores d’alerte précoce capables de prédire une aggravation importante (Score NEWS et score ROX).
« Les scopes sont un véritable outil d’aide à la décision pour les équipes infirmières. Ils calculent automatiquement le score et indiquent le niveau de risque présenté par les patients ainsi que les mesures à adopter. C’est un gain considérable en termes de sécurité. Infirmiers et cliniciens sont sensibilisés à la prise en charge avant même que la détresse ne survienne. Un gain de temps précieux également, d’autant que les données stockées dans l’appareil pourront être très bientôt transférées au dossier patient informatisé. » (Dr Valery BLASCO)
L’installation des appareils est intervenue peu de temps avant le début de la pandémie de COVID 19 et a joué un rôle absolument crucial dans la gestion de l’afflux de patients en soins critiques :
« Le déploiement des moniteurs de surveillance dans les services a permis de garder des patients COVID sous oxygénothérapie haut débit sans complication et avec une prise en charge en réanimation en temps voulu. Sans cette stratégie, les réanimations auraient été débordées et la crise aurait été beaucoup plus grave. » (Pr Nicolas BRUDER, Chef du service d’Anesthésie Réanimation)
Le projet fait d’ailleurs des émules. Lorsqu’il a été mis en place à la Timone, aucun autre Centre en France et en Europe ne disposait de pareil équipement. Le Centre hospitalier de Barcelone s’est depuis doté de moniteurs identiques, et plusieurs CH français songent actuellement à reprendre le modèle.
Au plus fort de la crise COVID, les scopes ont permis de déterminer quels malades allaient devoir être hospitalisés, quels patients allaient devoir être transférés en réanimation. Leur présence a été essentielle pour réaliser la conversion de lits d’hospitalisation conventionnelle en lits de surveillance continue. Les patients COVID placés sous Optiflow doivent en effet faire l’objet d’une surveillance de chaque instant. Il arrive par exemple qu’ils se débranchent des lunettes d’oxygène pendant leur sommeil. Si le problème n’est pas rapidement repéré et réglé, ils peuvent en mourir par arrêt cardiaque hypoxémique. Depuis les 3ème et 4ème vagues, les équipes s’appuient en outre sur des capteurs (Radius PPG) qui mesurent en continu la fréquence respiratoire, la saturation en oxygène et la fréquence cardiaque.
Les données sont transmises par bluetooth aux scopes de surveillance situés en dehors des chambres, ce qui permet d’isoler les patients tout en sécurisant l’administration d’oxygène.
Loin d’occulter la dimension humaine, les appareils et le score qu’ils fournissent entraînent une meilleure répartition des soins avec du temps supplémentaire pouvant être consacré à chaque patient. Ils favorisent également la discussion entre les infirmiers et le personnel médical, ainsi que les échanges avec les familles.
Des scopes ont récemment été déployés dans les services de pédiatrie pour mieux faire face notamment aux épidémies de bronchiolite, pathologie susceptible de déclencher elle aussi des détresses respiratoires.
L’adoption de ces dispositifs et les changements qu’ils ont permis sont le fruit d’un engagement sans faille des équipes médicales et soignantes, ainsi que des différentes directions hospitalières : Direction de site, Direction des équipements, Coordination générale des soins, Direction de la qualité, Direction des Services Numériques.