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Une école de la vie

Publié le :
10/11/2023 à 11:56

Une hospitalisation, pour un enfant, est un arrachement. A la maison le quotidien est bouleversé par son absence. A l’école, au club de sport, dehors… la vie suit son cours mais sans lui. Tout ce qui rythmait son existence, lui donnait naturellement un cadre, une direction, un sens et aussi un sentiment de sécurité, est soudainement perturbé par la maladie et les soins que son traitement requiert.

Il existe toutefois un dispositif dont, étonnamment, on parle peu : une convention entre l’éducation nationale et les hôpitaux qui permet à l’apprentissage scolaire de se poursuivre, dès lors que le temps d’hospitalisation dépasse 15 jours. On ne met pas suffisamment en avant le travail extraordinaire de ces enseignants qui prennent le relais des établissements où, en temps normal, les enfants sont scolarisés. En lien étroit avec les écoles, collèges ou lycées ils assurent une continuité primordiale dans le suivi des programmes, s’adaptant à chaque élève en fonction de son âge, de son niveau, de sa maladie et des soins qui lui sont prodigués.

A l’AP-HM, 15 enseignants spécialisés assurent un suivi pédagogique au sein des 13 étages de l’Hôpital d’Enfants de la Timone, mais aussi à l’Hôpital Nord et à l’Hôpital Sainte-Marguerite, auprès d’environ un millier d’enfants par année scolaire. Les cours sont dispensés dans 4 salles de classe dédiées, ou le plus souvent en chambres, directement au chevet des enfants. Un enseignement à tout moment tributaire de l’état de santé fluctuant des élèves, du rythme et de l’organisation des soins ou encore des protocoles sanitaires (avec les patients immunodéprimés, par exemple). Alors comment font-ils ?

Titulaires du CAPPEI (Certificat d'Aptitude Professionnelle aux Pratiques de l'Education Inclusive), les enseignants savent travailler non seulement avec les enfants et leur famille, mais aussi tous les professionnels de santé impliqués dans leur prise en charge et leur mieux-être : médecins, infirmiers et infirmières, psychologues, éducateurs et éducatrices spécialisés, assistantes sociales. Des points réguliers sont réalisés avec l’équipe médicale car s’ils n’ont pas à être informés des données médicales relatives aux enfants, les enseignants doivent néanmoins savoir quel impact leur état de santé peut avoir sur leur apprentissage, leurs capacités cognitives, leur attention.

« C’est du sur-mesure, un travail très personnalisé que nous effectuons auprès de chaque élève même si les temps en groupe, dans les salles de classe, ont toujours beaucoup d'importance pour nous » explique Benjamin TROUCHE, Directeur du Centre Scolaire de la Timone. « La scolarité reste pour les enfants et les ados un moyen de conserver une certaine normalité. Elle leur permet d’être actifs ce qui est indispensable pendant cette période très contrainte d’hospitalisation. Ils peuvent continuer à se projeter dans l’avenir, à faire des projets. »

En période d’examens, des aménagements comme le tiers-temps ou la présence d’un scripteur pouvant écrire à la place du jeune patient permettent que les épreuves se déroulent dans des conditions officiellement agréées par le rectorat. Pour les oraux, les jurys font le déplacement directement à l’hôpital.   

« Nous avons avec les enfants comme avec les familles un contact très particulier. Les attentes des parents sont évidemment importantes compte tenu du contexte et je dirais que globalement, ils sont rapidement rassurés par les progrès de leurs enfants. Le fait de travailler en petit nombre ou au chevet permet aussi aux enseignants de voir très vite les fruits de ce qu’ils ont semé. » (Benjamin TROUCHE) 

Le suivi du programme est essentiel pour que le retour en classe des enfants puisse se dérouler dans les meilleures conditions possibles. L’équipe pédagogique parvient cependant à élaborer de nombreux projets originaux, à l’image du « Nouvel antidote » : une « revue unique, absolument introuvable dans les kiosques à journaux et même dans les très bonnes librairies, distribuée exclusivement à l’hôpital », peut-on lire en entête de chaque numéro. Au sommaire :

  • les actus réjouissantes de l’hôpital car oui, grâce à la présence des associations, à l’implication des personnels et de l’équipe pédagogique, il y a dans les services de nombreux moments de joie partagée.
  • Un coin des artistes pour valoriser les créations des enfants, dessins, poèmes, collages…
  • des jeux ludiques créés pour et avec les petits patients     

 

A l’image également des anthologies poétiques annuelles « A fleur de mots » où Jean-Jacques MAREDI, Professeur de français, rassemble les productions des adolescents hospitalisés :

« Ce sont des écrits très personnels, parfois les ados expriment leur vécu avec beaucoup de force et ils ne mâchent pas leurs mots. Le recueil a son succès même parmi le personnel soignant. Globalement, les enfants hospitalisés sont plus mûrs. Ils traversent une période difficile, sont au contact de beaucoup d’adultes différents, doivent s’adapter sans cesse… Souvent ce sont les enfants qui protègent leurs parents, ils se disent que c’est à eux de dédramatiser, ne se plaignent jamais. La poésie offre l’opportunité de tout dire. »

En collaboration avec Stéphanie DURAND, enseignante, et Margaux GRAND, éducatrice spécialisée, Jean-Jacques MAREDI est enfin à l’initiative du « Choco-philo », équivalent hospitalier des « café-philo » dont le principe est de se réunir, en toute convivialité, pour discuter d’un thème, débattre d’une problématique. « Le travail rend-t-il heureux ? », « L’homme est-il un animal comme les autres ? », les jeunes apprennent lors du Choco-philo à échanger leurs points de vue, argumenter et nourrir leurs réflexions, réalisant par la même occasion que la philosophie est au fond une pratique courante, à la portée de tous. Au cours d’un récent Choco-philo sur la thématique du bonheur, trois enfants ont impressionné Jean-Jacques :

« Ici, dans leur état, malgré la maladie et l’hospitalisation, ils soutenaient avec force arguments qu’ils étaient tout simplement heureux. Nous recevons souvent, nous aussi, des leçons de la part de ces enfants ! »

En Hématologie-Oncologie pédiatrique de leur côté, Emilie GRILLO ainsi que ses collègues Isabelle MOUTIER, Julie PIANETTI pour le primaire, collaborent souvent avec les éducatrices pour réaliser des projets pédagogiques et artistiques. L’an dernier, une exposition interactive sur les émotions avait eu un impact très positif pour les enfants, leur famille et même les soignants qui avaient accepté de confier leurs émotions dans de courtes vidéos. Depuis, plusieurs autres projets ont pu voir le jour sur les contes, les pirates… ou sont prévus au cours de l'année, notamment sur le cirque ou encore l’espace. Un projet de podcast est lui aussi en train de se monter. 

 « Nous accordons une place importante aux activités qui stimulent et mettent en valeur l’imaginaire, la créativité, l’inventivité des enfants. J’ai été très touchée récemment par un élève avec lequel j’avais travaillé pendant une année. Il avait quitté l’hôpital, mais a dû  être à nouveau soigné suite à une rechute. La première chose qu’il m’a dite c’est : "ça m’embête que la maladie revienne, mais je suis super content de revenir à l’école à l’Hôpital". » (Emilie GRILLO)

Dans le but de pouvoir poursuivre et étoffer tous ces projets, par exemple en invitant des intervenants extérieurs ou en faisant l’acquisition de matériel spécifique pour un podcast, des éducateurs et enseignants de tout l’hôpital ont fondé une association : Les minots de l’hosto, dont Emilie GRILLO est la présidente. Les membres s’investissent tous sur leur temps personnel, faisant résolument de l’apprentissage des instants de transmission, de partage, d’expérimentation, de découverte. Ne serait-ce pas plutôt cela, la véritable école de la vie ?

De gauche à droite : Jean-Jacques MAREDI, Benjamin TROUCHE, Emilie GRILLO

Benjamin TROUCHE est enseignant spécialisé et directeur du Centre Scolaire de l’AP-HM. Pendant 10 ans il a dirigé une école sur une aire d’accueil pour gens du voyage afin de sensibiliser cette population à l’importance d’une scolarité régulière et redonner confiance en l’école. Il a ensuite obtenu un poste d’enseignant à l’Hôpital Nord avant de devenir, l'année suivante, Directeur du centre scolaire.

Emilie GRILLO est enseignante spécialisée. Elle a passé son concours en Martinique puis a enseigné aux Etats-Unis, toujours dans l’éducation spécialisée. En 2019 elle décide de revenir à Marseille et est recrutée au Centre scolaire de l’AP-HM.

Jean-Jacques MAREDI, Professeur de Lettres classiques, a eu son CAPES de Français latin grec en 1988. Dès le départ l’enseignement est pour lui une vocation et il a toujours eu le souci de garder la passion du métier. Il enseigne en Lycée, BTS, puis le français langue étrangère en Turquie. A la suite d’un cancer il obtient un poste aménagé à l’Hôpital Salvator en 2017 où il travaille auprès d’enfants souffrant de troubles psychologiques jusqu’en 2019. De 2019 à 2020 il enseigne à nouveau en collège avant d’intégrer finalement l’équipe du Centre scolaire en 2020.