Tino et Alexis : à bras-le-corps dans la vie
C’était à un concours de danse pour Tino Rizza.
Lors d’un banal trajet en scooter pour Alexis Sanchez.
Le 22 janvier 2022 Tino, 15 ans, virevoltait sur la piste. Le corps tout entier dans la danse, vibrant comme toujours d’une énergie rayonnante. Mais soudain ce fût la stupeur générale : il s’effondra d’un coup, sans aucun signe avant-coureur. Un instant auparavant bondissant et tournoyant, l’instant d’après gisant à terre, inerte.
Le 24 août 2019 Alexis, 21 ans, était au guidon du scooter à trois roues de son père sur l’autoroute. Un trajet qu’il connaissait bien, sur un engin qu’il maîtrisait parfaitement. Il pensait peut-être à ses projets du jour quand le choc s’est produit. En route l’instant précédent, suivant tranquillement le cours de sa vie, l’instant d’après se vidant de son sang sur les barrières de sécurité, l’artère fémorale sectionnée.
Tino victime d’une rupture d’anévrisme. Alexis d’un grave accident de la route.
Tous deux brusquement fauchés dans leur élan, mais avec cette chance d’être secourus et emmenés rapidement à l’Hôpital de la Timone. Dans le service de Réanimation, les équipes se démènent pour maintenir Tino en vie, pour qu’Alexis ait, dans son malheur, toutes les chances de son côté.
« Vous savez, en cas d’anévrisme cérébral seuls 10% des personnes s’en sortent » explique Stéphanie Rizza, la maman de Tino. « Il est resté 17 jours dans un état critique, a passé 32 jours en réanimation puis 6 mois dans un centre de rééducation. » Si aucune séquelle physique n’est à déplorer, Tino souffre néanmoins de séquelles neurologiques affectant sa mémoire.
Alexis, lui, aura dû subir une double amputation transfémorale dès son arrivée à l’hôpital et par la suite, en l’espace de quelques mois, 7 opérations successives avant d’entamer un parcours d’un an et demi de rééducation. Un parcours du combattant pour réapprendre la marche avec des prothèses et regagner, semaine après semaine, un tant soit peu d’autonomie.
Yann Gogan, psychologue clinicien en Réanimation, était présent pour accompagner leurs parents, pour les aider à surmonter ce sentiment d’impuissance si difficile à supporter lorsqu’un proche, a fortiori un enfant, est ainsi hospitalisé en état grave. Il a suivi Alexis et Tino pour leur permettre d’exprimer leur ressenti et les soutenir dans leur processus d’acceptation : « d’emblée j’ai compris qu’Alexis avait beaucoup de ressources. Même chose pour Tino dès qu’il a été possible de parler avec lui. C’est quelque chose qui nous a tous marqués dans l’équipe : leur capacité à se projeter tout de suite dans l’après. » Un après qui jamais plus n’allait être comme avant. Mais qu’à cela ne tienne : ils envisageaient déjà de faire mieux, d’aller plus loin.
Certains auraient revu leurs ambitions à la baisse, certains auraient renoncé à poursuivre ou à débuter une activité physique, « accusant le coup » comme on dit. Un coup du sort terrible.
Pas eux :
« Plus la vie nous frappe fort, plus il faut répondre avec fermeté » affirme Alexis, 25 ans aujourd’hui, qui avant même sa sortie de réa, sans savoir encore dans quelle discipline sportive, se disait avec une inébranlable force de conviction : « je ferai les jeux paralympiques à Paris ».
A son neurologue qui lui déconseillait vivement de reprendre la danse à cause du risque d’à-coups aux cervicales que les mouvements étaient susceptibles de générer, Tino a quant à lui répondu : « Je préfère vivre moins longtemps et continuer, plutôt que vivre toute une vie sans danser ».
« C’est quelque chose que l’on voit parfois en réanimation, en particulier chez les jeunes : au lieu d’être des entraves l’épreuve, le traumatisme deviennent pour eux un moteur. De cette expérience de la mort ils font une force pour avancer dans la vie » remarque Yann Gogan. « Pour encourager ce processus je fais souvent appel à un ancien patient qui était champion de boxe, Romain Peker. Après avoir perdu une jambe dans un accident de la circulation il a créé l’association "Second Round – se relever par le sport". Il vient très volontiers voir les jeunes dans le service pour partager avec eux son expérience. »
Lors d’une journée handisport organisée par son centre de rééducation Alexis découvre l’aviron. Ce sera son sport d’élection. Après avoir repris ses études d’ingénieur en alternance en octobre 2020, il participe à sa première compétition d’aviron en 2021. « Une déconvenue » explique-t-il, se souvenant de sa performance d’alors, « mais qui m’a stimulé encore plus ». Car Alexis fonctionne ainsi : d’une exigence rare envers lui-même, il ne se décourage pour ainsi dire jamais. Il aime les efforts acharnés et les défis un peu fous : « J’essaye de m’améliorer sans cesse. Aujourd’hui je considère le handicap comme un moyen de devenir une meilleure version de moi-même ». Avec l’AVI Sourire, son école d’aviron et d’inclusion par le sport, il participe à différentes compétitions nationales et obtient rapidement des médailles, ce qui lui vaut d’être repéré et intégré en Equipe de France.
En début d’année il remporte, aux championnats de France et d’Europe Indoor à Paris, les titres de Champion de France de sprint, Vice-champion d’Europe de sprint 500m et Vice-champion de France sur 2000m. Un authentique exploit pour quelqu’un ayant si peu de pratique derrière lui (2 années en tout et pour tout !). En juillet dernier, il termine 9ème à ses premiers championnats du monde à Belgrade, une compétition suivie de près et avec beaucoup d’enthousiasme par toute l’équipe du service de Réanimation des Urgences.
« J’aurais aimé être mieux classé évidemment, mais ces championnats du monde c’est une expérience très très positive et inspirante. L’occasion pour moi de côtoyer de grands champions qui ont pris le dessus sur leur handicap, qui l’ont surmonté pour se surpasser. »

Tino a pour sa part décroché cette année le titre de Champion de France de Boogie Woogie, parvenant à se hisser à la 5ème place mondiale ! Il poursuit en outre la danse latine, avec plus de difficultés qu’avant car ce style nécessite la mémorisation de schémas chorégraphiques complexes. Il a travaillé d’arrache-pied pour adapter totalement sa manière de danser, en limitant au maximum ces à-coups cervicaux qui pourraient nuire à sa santé. Son tempérament toujours positif, sa soif de vie et son goût de l’effort lui ont permis de revenir au très haut niveau à une vitesse prodigieuse.
« C’est rarissime d’avoir un anévrisme à cet âge. Il s’est déstructuré pour se reformer. Avant, les miracles je n’y croyais pas trop. Aujourd’hui je me dis que c’est un miracle. » nous confie Stéphanie Rizza. « Depuis l’accident il est beaucoup plus calme, tempéré, mais par contre il veut tout vivre. Il veut tout faire à fond et nous, même si nous avons parfois un peu de mal à le suivre, nous sommes bien décidés à accompagner cet élan vital. Les jeunes comme lui ont beaucoup de choses à nous apprendre. J’ai appris énormément de mon fils. Quant à la Réanimation, c’est un service grandiose, hyper humain. Ils sont exceptionnels, vraiment. »

Pour Alexis, la qualification aux Jeux Paralympiques se jouera en mai 2024. Mais un autre horizon se profile également pour lui, en tant qu’ingénieur : « j’ai envie de travailler dans le milieu prothétique. J’ai là-dessus un double regard que je pourrai mettre à profit pour aider d’autres personnes à mieux vivre, à accomplir ce qu’elles souhaitent. »
Pour Tino, les championnats du monde de Boogie Woogie se dérouleront fin novembre en Suisse. Il y aura aussi l’Espagne pour la danse latine, puis Monaco, Paris… « Cela fait pas mal de déplacements mais nous serons avec lui. Notre priorité dans la famille, c’est VIVRE. »