Cancer du poumon et immunothérapie : vers une désescalade thérapeutique
Pour soigner certains cancers, notamment le cancer du poumon qui demeure l’un des plus meurtriers, plusieurs thérapies innovantes ont vu le jour comme les anticorps monoclonaux. Ces traitements d’immunothérapie ont constitué une révolution dans la prise en charge de patients dont le pronostic ne laissait auparavant que peu d’espoir.
Il en va toutefois des médicaments comme de n’importe quel outil : seule une utilisation juste et mesurée permet d’en tirer le meilleur parti possible. La pharmacocinétique est l’étude du devenir des médicaments dans l’organisme. Cette discipline permet de prédire le degré d’efficacité thérapeutique ou la toxicité des traitements en évaluant, entre autres, l’exposition des patients en termes de concentrations circulantes. La pharmacocinétique s’avère extrêmement utile en cancérologie, pour estimer quelles seront les chimiothérapies ou thérapies ciblées orales les plus pertinentes pour les patients. Les équipes de l’AP-HM ont développé un haut niveau d’expertise en la matière, garant d’une médecine personnalisée et de précision.
Les Professeurs Laurent GREILLIER (chef du service d’Oncologie multidisciplinaire et innovations thérapeutiques à l’Hôpital Nord) et Joseph CICCOLINI (Plate-Forme PRISM dirigée par le Pr SOLAS au Biogénopole de l’AP-HM) ont souhaité étendre cette démarche aux thérapies les plus innovantes.
« Au départ, les posologies des traitements d’immunothérapie étaient prescrites en fonction du poids des patients. Petit à petit elles ont été remplacées par des doses fixes. Nous avons voulu déterminer si ces dosages étaient optimaux. » (Pr Laurent GREILLIER)
En intégrant au catalogue d’analyses de concentrations sanguines et plasmatiques une dizaine d’anticorps monoclonaux utilisés en oncologie, dont les produits d’immunothérapie, c’est un véritable observatoire de ces molécules qui a été créé par les équipes, avec un suivi systématique de tous les patients traités pour un cancer du poumon au sein du service d’Oncologie Multidisciplinaire et Innovations Thérapeutiques de l’Hôpital Nord.
« Nous sommes les premiers et pour le moment les seuls à avoir monté une plate-forme de dosage des biothérapies par spectrométrie de masse dans un centre hospitalier pour réaliser ces dosages en routine, chez tous les patients de l’AP-HM. Nous avons porté une attention particulière à trois des molécules les plus emblématiques en immunothérapie : le nivolumab, le pembrolizumab et l’atezolizumab. » (Pr Joseph CICCOLINI)
Les résultats d’une première recherche pour l’atezolizumab ont été récemment publiés par la revue Clin Pharmacol Ther, éditée par l'American Association of Clinical Pharmacology & Therapeutics. Ces résultats montrent que la totalité des patients traités selon les recommandations standards en vigueur (1200mg toutes les trois semaines) est très fortement surexposée à ce traitement, jusqu’à 10 fois plus que les concentrations nécessaires à l’obtention d’un effet thérapeutique. Grâce à des simulations informatiques, les équipes ont montré que le traitement aurait une efficacité équivalente avec des administrations bien moins fréquentes.
« Des analyses complémentaires démontrent que cette surexposition n’induit heureusement pas de toxicité pour les patients. Mais dans un esprit d’utilisation rationnelle et raisonnée des ressources cela doit inciter, pour ce médicament et cette indication, à une désescalade thérapeutique de grande ampleur, d’autant qu’il s’agit d’une molécule onéreuse. » (Pr Laurent GREILLIER)
C’est une donnée variable pour chaque patient mais en moyenne et à dose équivalente, le médicament pourrait leur être administré toutes les 12 semaines, voire toutes les 19 semaines pour certains, et pas toutes les 3 semaines comme cela est actuellement recommandé officiellement par l’AMM. Cela représenterait pour les patients moins de contraintes, moins de déplacements à l’hôpital, tout en générant une économie d’argent public considérable puisque le traitement par atezolizumab a un coût pour l’assurance maladie avoisinant les 60 000 euros par an et par patient.
« Notre principal message rejoint les préoccupations actuelles de l’Institut National du Cancer (INCa) qui a fait de la désescalade thérapeutique une priorité. L’oncologie coûte très cher en médicaments et notre étude démontre pour la première fois l’existence d’un levier qui pourrait permettre, tout en continuant de traiter efficacement les gens, de faire des économies conséquentes pour les finances publiques. Naturellement cette désescalade doit aller de pair avec une médecine plus personnalisée, prenant en compte les spécificités de chaque cancer et de chaque patient, et n’est pas forcément transposable à tous les médicaments anticancéreux. » (Pr CICCOLINI)
Pouvoir personnaliser non seulement le choix de la molécule la plus efficace, mais aussi les doses prescrites, c’est là tout l’intérêt de l’expertise d’un centre comme le Biogénopôle de l’AP-HM, capable d’élaborer avec une grande précision les schémas posologiques les plus adaptés à chaque patient.
Des résultats concernant d’autres traitements d’immunothérapie seront publiés prochainement par ces mêmes équipes.