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Parcours d’un explorateur

Publié le :
08/12/2022 à 17:24

Yann GOGAN est actuellement psychologue clinicien au sein du service de Réanimation polyvalente du Pr VELLY et du service de Réanimation cardio-vasculaire du Dr GUIDON à l’Hôpital de La Timone. Une fonction extrêmement riche en émotions, dans des services où se côtoient espoir et tragédies.

 

Sur la photo ci-contre Yann a cinq ans. Son père l’emmène plonger à la plage du Bestouan à Cassis. Les prémisses d’une soif d’exploration, d’une envie d’accéder à des mondes reculés, cachés, d’une curiosité qui continuera de l’animer sa vie entière.

 

À 21 ans, après deux années de fac pour devenir prof de gym, il met un terme à ses études et commence par être technicien piscine avant de partir travailler à la direction sportive de la station de ski Sestrières en Italie. Pendant toutes ces années, le Centre Cassidain de plongée à Cassis demeure néanmoins pour lui un point d’ancrage. Il rencontre Henri COSQUER à l’âge de 14 ans, lorsque ce dernier rachète le club en 1981, et y devient moniteur stagiaire à son retour d’Italie en 1991. La plongée sous-marine est le point de départ d’innombrables aventures pour lesquelles il n’hésite jamais à s’embarquer, s’adonnant avec passion à l’exploration des fonds sous-marins.

 

« Mon truc à l’époque, c’était ça. Explorer les fonds sous-marins. Ceux entre Cassis et Marseille notamment ont été mon jardin secret pendant des années. »

 

Lorsque début juillet 1991, alors qu’il travaille au club comme moniteur de plongée, Henri COSQUER lui propose, ainsi qu’à Cendrine COSQUER (sa nièce) et Pascale ORIOL, elles aussi monitrices au club, de l’accompagner pour explorer plus avant une cavité sous-marine qui semble prometteuse, Yann est très enthousiaste. Ce dont il ne se doute pas du tout en revanche, c’est de l’immense découverte que la petite bande d’amis s’apprête à faire. Lors de cette première incursion faite par la bande des quatre, une deuxième salle est découverte et la grotte est explorée dans son ensemble. Petit retour en arrière : en juin 1990, les frères Bernard et Marc Van Espen, plongeurs spéléologues belges, avaient déjà installé un fil d’Ariane dans le boyau sous-marin long de 140 mètres (dont l’entrée se situe à -36 mètres de profondeur) menant à un lac souterrain qu’Henri avait entraperçu en 1985. Leur fil étant trop court, les deux frères avaient dû renoncer à l’exploration. Un an plus tard, fin juin 1991, Marc replonge cette fois-ci avec Henri et ils parviennent à explorer pendant 30 minutes une partie de ce que les archéologues appelleront la salle 1. Au-delà, c’était l’inconnu.

 

« C’est avant tout le lieu qui était magique. Avec le lac sous-terrain, la petite plage et les concrétions étincelantes. Nous parcourions le lieu, parfois en rampant, cherchant des passages qui nous conduiraient vers d’autres salles. Ce n’est que vers la fin de la deuxième plongée que la bande des quatre a effectuée mi-juillet, qu’à un moment le faisceau de ma lampe éclaire des traces de doigts dans l’argile, puis le contour d’une main sur la roche, comme dessiné au pochoir, à l’instar des cadeaux que font les enfants de maternelle à leurs parents. Pascale a alors émis l’idée d’une éventuelle trace préhistorique. C’était complètement improbable, inattendu. Henri a fait des photos. Puis, quand nous avons regardé les diapositives quelques jours plus tard, nous nous sommes aperçus qu’il n’y avait pas qu’une seule main, mais trois. »

 

Il faut s’imaginer déambuler à la lueur de lampes torches peu puissantes à l’époque, dans un espace accidenté de 2500m², dont la moitié environ est ennoyée. Contrairement aux deux plongées précédentes dont le but était de chercher des passages dans la roche et de dresser une première topographie des lieux, la troisième fin juillet est entièrement consacrée à la recherche de peintures pariétales. Les parois sont alors minutieusement éclairées par les quatre aventuriers pour finalement laisser apparaître un bestiaire extrêmement varié. Les quatre effectueront d’autres plongées en août, mais accompagnés par deux cinéastes pour réaliser photos et film de qualité professionnelle.

 

« C’était incroyable. On s’appelait les uns les autres pour se montrer les peintures, c’était presque irréel. Nous étions dans une sorte d’état second. » 

 

 

Bien plus que de simples comparses pour Henri COSQUER, Yann, Pascale et Cendrine ont pleinement contribué à la découverte historique des fabuleuses peintures de la grotte COSQUER (les plus anciennes remontent à - 33 000 ans).

 

Fin 1991, Yann devient scaphandrier, et à 24 ans il intègre la COMEX pour travailler sur des champs pétroliers offshore en Afrique de l’Ouest et en Indonésie. Le temps passant, il pense devenir lignard (technicien de maintenance pour les lignes haute tension), ou soudeur… Mais à l’âge de 30 ans, alors qu’il suit lui-même une psychanalyse, il s’oriente vers des études de psychologie. C’est pour lui un territoire nouveau à défricher, l’exploration de l’humain. Dès l’obtention de son diplôme en 2002 il travaille en psychiatrie adulte dans une unité d’entrants de l’Hôpital Valvert, puis avec des enfants autistes dans une unité de psychiatrie infanto-juvénile de ce même hôpital.

 

En septembre 2011, il obtient une mutation au pôle universitaire de psychiatrie, dans l’Unité ULICE du service du Pr NAUDIN à l’Hôpital Sainte-Marguerite. Son premier poste à l’AP-HM. Après d’autres expériences en CMP et en unités d’hospitalisation, il intègre en 2015 le Pôle 25 Anesthésie-Réanimation. Seul psychologue pour deux services comportant chacun 20 lits de réanimation et 10 lits de soins intensifs, il s’occupe des patients mais aussi de leur famille, et du personnel de soins lorsqu’un soutien ou un débrief ponctuel est nécessaire. La réanimation est un environnement agressif, hyper technicisé, où l’écoute et la parole jouent cependant un rôle crucial. En lien avec son activité en réanimation cardio-vasculaire, il participe de plus aux consultations pré-greffe et post-greffe cardiaque dans le service du Pr COLLART. Il lui arrive également d’accompagner les patients anxieux au bloc opératoire, jusqu’à leur endormissement.

 

« En réanimation les patients et les familles sont souvent effrayés. C’est tellement violent ce qu’ils vivent, qu’ils se livrent d’emblée, sans détour. D’un point de vue humain, c’est passionnant. Tout va très vite. En un entretien une personne peut parler de ce qu’elle aurait mis plusieurs séances à formuler en consultation telle que j’ai pu la pratiquer en psychiatrie. »   

 

Cette vitesse nécessairement induite par les situations extrêmes que les patients et leurs familles traversent convient au tempérament de Yann. Il semble trouver les mots justes, parfois percutants mais toujours de manière à provoquer chez le patient une forme de sursaut de volonté, de courage.

 

« Cette confrontation à la mort, elle est certes très rude, terrible, mais j’ai pu constater que lorsque les gens s’en sortent, cela leur fait parfois gagner du temps par la suite dans leur vie. Une telle expérience vous ramène à l’essentiel. La mort, ça aide à réfléchir sur la vie, ça lui redonne une saveur que les petites frustrations du quotidien auxquelles on s’attache font parfois perdre de vue. Un paradoxe qui mérite réflexion... Nous côtoyons la mort dès l’instant où nous naissons, pourtant elle surprend toujours quand elle vient frapper à notre porte ! »

 

Touche à tout, il a entièrement développé avec l’aide des médecins du service un outil informatique mobile permettant aux patients lourdement handicapés et privés de parole de communiquer avec leur famille.

 

 

Pendant la crise COVID, Yann s’est également impliqué avec le Dr Xavier CAILLOU, médecin à la réanimation polyvalente et au SAMU, pour essayer de soutenir ses collègues. Lors de la première vague, les visites étant interdites, ils ont transformé la salle d’attente des familles en espace de détente pour le personnel. Pour faciliter la mise en place des nouveaux flux de circulation des patients, ils ont par exemple réalisé une signalétique au sol avec de vieux autocollants de plongée. Le Raid leur a également prêté des talkies-walkies qui permettaient une communication simplifiée entre des espaces cloisonnés. Enfin, ils réceptionnaient les dons des entreprises et particuliers dans son bureau et en organisaient la distribution entre les trois réanimations du BMT avec une rigueur et une exigence d’équité intransigeante. D’ordinaire déjà plein de matériel divers et varié, son bureau s’est ainsi rempli du sol au plafond.

 

« C’était une expérience émotionnelle intense et très riche humainement parlant. Les équipes de réanimation ont fait preuve de beaucoup d’inventivité, de beaucoup d’humour aussi pour traverser cette période éprouvante. L’AP-HM peut rendre hommage aux médecins et paramédicaux, sans oublier les ASHQ et les techniciens. Tous ont œuvré sans sourciller, malgré la peur au ventre parfois lors de la première vague. Littéralement exceptionnel. »

 

Dans tout ce que Yann entreprend, on retrouve toujours une même passion et une même sincérité.