Quand la psychiatrie se met au vert

C’était un parking pour le personnel hospitalier. Puis un terrain vague. Aujourd’hui c’est un îlot où la vie reprend ses droits, en plein cœur de la ville.
Un jardin thérapeutique né sous l’impulsion d’un collectif de soignants engagés qui a entrevu tout le potentiel du lieu, et a décidé de l’investir pour et avec les patients.
Au fondement même du jardinage, il y a sans doute ce principe : être attentif au potentiel. Cultiver des plantes, des légumes, des fleurs, c’est être dans un subtil équilibre entre prendre soin et laisser agir. Intervenir mais sans excès, faire surtout preuve de patience, de confiance dans les processus et les cycles qui sont à l’œuvre : germination, croissance, éclosion, floraison. N’y a-t-il pas là une parenté directe avec le travail psychothérapeutique ?
Au jardin chacun peut trouver sa place. Les contemplatifs tout comme ceux qui aiment mettre les mains à la terre et s’activer. C’est un refuge ouvert, un cadre sécurisant mais jamais enfermant qui réconcilie l’intériorité avec le dehors.
Lorsqu’il pousse la grille qui permet d’accéder au jardin, Paul* se sent immédiatement détendu. Il voit les autres vaquer à leurs occupations. Certains rempotent, d’autres épandent du terreau, jouent aux boules, tandis qu’une discussion animée bat son plein sur les bancs disposés au centre de l’espace. On dirait une place de village à la fois animée et paisible. Paul explique qu’ici il oublie tout : les troubles dont il souffre, les soucis. Du point de vue des soignants impliqués ce n’est pas tant d’oubli qu’il s’agit, mais plutôt de reconnexion avec des sensations simples, de sentiment d’appartenance à un groupe, de participation à un projet. À l’image des tuteurs destinés à guider et soutenir les plantes, tout cela vient étayer le désir de Paul et des autres patients.
Car les initiatives sont nombreuses, l’émulation collective donne lieu à des idées à foison : une pergola est en cours d’installation, un arbre, pôle de sociabilité, symbole d’ancrage et de stabilité, sera prochainement planté au centre du jardin ; l’implantation d’une serre est également prévue, de même qu’un coin potager.
Le jardin, dans sa conception et son évolution future, a été pensé par des étudiants paysagistes de l’École Nationale Supérieure de Paysage de Marseille, grâce à un partenariat. Le projet a ainsi pu bénéficier de conseils avisés en matière d’aménagement du terrain, de choix des essences et espèces végétales ainsi que d’entretien. Mais bien-sûr patients et soignants apprennent aussi beaucoup « sur le tas », de leurs succès et surtout de leurs échecs.
« On plante et on se plante ensemble ! » s’exclame en souriant Noëlle ROPERT, infirmière psychiatrique.
C’est lors du premier confinement que cet endroit est devenu, aux yeux de tous, essentiel comme une grande bouffée d’air.
Accès privilégié au dehors, enclave de verdure pouvant accueillir les ateliers intra et extra-hospitaliers, le jardin occupe alors une place centrale au quotidien, la nature qu’il abrite est plus que jamais appréciée et considérée. C’est pourquoi le projet est bien davantage qu’un support au travail thérapeutique. Il ouvre à des concepts de biodiversité, d’écologie, de nutrition également, avec les fruits et légumes cultivés.
« Le jardin, c’est la plus petite parcelle du monde et puis c’est la totalité du monde » disait Michel FOUCAULT. À voir toutes les ramifications de cette initiative qui s’étendent bien au-delà de l’enclos du jardin, on ne peut qu’abonder dans ce sens.
Dans le voisinage direct, des habitants amènent des pots ou des boutures pour soutenir la démarche. Des entreprises font don de matériel, des élagueurs permettent au collectif de récupérer du broyat de bois qui serait autrement parti à la déchetterie. Plusieurs patients prolongent désormais ces temps de jardinage chez eux en s’occupant de plantes sur leur balcon ou dans leur logement. Deux patientes qui ne se connaissaient pas et ont jardiné ensemble se retrouvent à présent tous les week-ends pour randonner. Un groupe what’sapp « Les jardins » a été créé pour que les idées, remarques, envies et observations circulent. Estelle GIOVANNINI, infirmière psychiatrique membre de la Ligue pour la Protection des oiseaux a eu l’idée de fabriquer et d’installer avec les patients des nichoirs à oiseaux pour peut-être, un jour, faire du jardin un refuge LPO. Frédéric ACCART, infirmier et musicien, songe à la possibilité d’y organiser, après la crise sanitaire, des concerts ou des performances.
En créant du lien, de la vie, le jardin essaime, le jardin fait monde.
*Pour des raisons de confidentialité le prénom a été changé
Liste des soignants et personnels impliqués de l’intra et de l’extra hospitalier : PINGEOT Charlotte, ACCART Frederic, BERGER Lydie, CESTARI Geraldine, ROPERT Noëlle, SRABIAN Isabelle, BOST Adelphe, GIOVANNINI Estelle, MAGNAN Marie Capucine, VEAUTE Maryline, PLOVIER Annette, PETIT Marie, KARCZYNSKI Lou, SOFIANE Samira, BENYAMINA Fadela, FLEURET Aurelie, ROUBAUD Catherine…. Ainsi que de nombreuses autres personnes qui participent plus ponctuellement mais dont le soutien est précieux…