Transformer les fentes faciales en sourires : 17 ans de mission à Mayotte
Ce qui au départ n’était que le remplacement ponctuel d’un confrère pour une mission à Mayotte en 2008, s’est transformé en aventure humaine au long cours. Cela fait maintenant 17 ans que le Dr Nathalie Degardin, Cheffe du service de chirurgie plastique pédiatrique à l’Hôpital de la Timone, opère les enfants porteurs de fentes et autres malformations faciales à Mayotte. 17 ans qu’elle répare les visages d’enfants qui seraient autrement condamnés à vivre cachés, victimes d’ostracisme du fait de leur apparence et de leurs difficultés à communiquer. Deux missions de 10 jours sont organisées chaque année, grâce à un partenariat officialisé en 2011 par la signature d’une convention de mise à disposition de praticiens hospitaliers entre l’AP-HM et le Centre Hospitalier de Mayotte.
Formée à Lille et en poste à Marseille depuis 2007, le Dr Degardin a une grande expertise dans la prise en charge de ces malformations. A son arrivée à l’AP-HM elle opérait aussi bien des patients adultes que des enfants mais à partir de 2011, elle s’est entièrement consacrée à une activité de chirurgie plastique pédiatrique, au sein du service qu’elle dirige depuis maintenant deux ans. Le service traite les tumeurs et anomalies cutanées de l’enfant, les brûlures, les plaies… il s’occupe également des reconstructions mammaires chez les enfants qui naissent avec des agénésies ou des hypoplasies, ou encore des affections de la main, qu’elles soient traumatiques, congénitales, dégénératives ou tumorales. Enfin, Nathalie Degardin est également coordinatrice de deux centres de compétences maladies rares :
- MAFACE, pour les malformations faciales qui comprennent les fentes mais aussi toutes sortes de malformations au niveau du visage comme les paupières, le nez, les oreilles…
- SPRATON, pour les enfants atteints de séquence de Pierre Robin isolée ou syndromique et de troubles de succion-déglutition congénitaux. Ces enfants sont pris en charge dès le prénatal et à la naissance pour des problématiques respiratoires ou encore des troubles de déglutition éventuellement associés à des fentes.
Lors de son premier séjour à Mayotte, à l’initiative du service ORL local, elle intervient surtout auprès de grands enfants et d’adolescents n’ayant jamais pu bénéficier de chirurgie réparatrice.
« J’ai eu notamment une jeune fille de 17 ans, en classe de Terminale, avec une fente palatine jamais opérée. Elle ne pouvait pas se faire comprendre au téléphone. Les fentes ont des répercussions visuelles mais aussi fonctionnelles. La phonation est fortement altérée en cas de fente palatine, avec de l’air qui passe par le nez. C’est un handicap social énorme pour la communication au quotidien. » (Dr Nathalie Degardin)
Les premiers temps elle part seule, s’appuyant sur les ressources locales pour l’assister : médecin anesthésiste, infirmières et infirmiers.
« A présent il n’y a plus suffisamment de personnel sur place. Je pars donc à chaque fois avec une anesthésiste et une infirmière de bloc de Timone Enfants. La chirurgie des fentes n’est pas très exigeante en termes de moyens. Il suffit de disposer de quelques instruments. Le plus important est d’avoir un anesthésiste pédiatrique très aguerri, car il arrive par exemple que nous devions opérer des enfants dénutris ou drépanocytaires. »
Les missions ont lieu en septembre et en mars, périodes les plus propices du fait d’une moindre circulation des épidémies et maladies infantiles. Les enfants séjournent en effet en pédiatrie et il est important de ne pas surcharger l’hospitalisation de pédiatrie lors des périodes où l’activité y est la plus intense. La périodicité de 6 mois correspond en outre parfaitement au calendrier chirurgical préconisé pour ce type de pathologies, les lèvres devant être opérées entre 0 et 6 mois, les palais entre 6 et 12 mois puis finalement les gencives.
« Les équipes sur place sont extraordinaires. Elles organisent tout au mieux, prenant en compte notre sécurité et nos besoins, entre autres en matière de transports et d’interprétariat. Actuellement, c’est le service de chirurgie plastique du Dr Emeric Robert, présent à Mayotte depuis 4 ans, qui recrute les petits patients en pré-missions et assure leurs suites opératoires. Il collabore avec l’équipe d’odontologie, elle aussi très engagée, qui a développé le centre de compétences ORARES pour la prise en charge des malformations dentaires rares. Cela permet aux patients porteurs de fentes, de Mayotte et parfois des Comores, de bénéficier d’un suivi complet, identique à celui proposé en métropole. »
En 17 ans, la mission n’a jamais connu de mortalité ou de morbidité majeure. Des reprises chirurgicales post-opératoires sont parfois nécessaires en cas d’hémorragies mais cela reste rare.
Le Dr Degardin projette aussi d’accueillir des infirmiers du CH de Mayotte au sein de son Centre de compétence à l’AP-HM, afin qu’ils puissent se former auprès des infirmiers coordinateurs et des orthophonistes. Les compétences acquises leur permettraient ainsi d’améliorer la prise en charge initiale des patients.
La maternité de Mayotte est la plus importante de France avec plus de 10 000 accouchements par an. Entre 15 et 20 enfants porteurs de fente sont opérées à chaque mission. La première journée est systématiquement dédiée aux consultations, avec les nouveaux patients reçus le matin et les anciens l’après-midi.
« Je suis certains patients depuis plus de 15 ans. Des liens se sont créés avec eux, avec leur famille comme avec les équipes. C’est toujours beaucoup d’émotions et des relations humaines très fortes. Je suis très attachée aux services rendus aux populations, c’est ce qui donne tout son sens à notre métier et c’est le message que je m’efforce de faire passer aux jeunes générations : nous sommes là pour rendre service à des patients et nous devons faire tout ce qui est en notre mesure pour eux. C’est une mission dont je suis très fière car elle perdure dans le temps, ce qui est rare. Elle a toujours été soutenue et facilitée par les directions successives, que ce soit de l’AP-HM ou du CHM, et il faut absolument saluer les deux médecins ORL qui l’ont initiée : Joëlle et Philippe Pariaud. La mission pourrait porter leur nom tant ils ont œuvré à sa mise en place. »
Cliquez sur une image pour l'agrandir




