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Du côté de la vie

Publié le :
24/04/2019 à 14:12

Elle entre dans la chambre. Un Monsieur d’un certain âge est assis dans son lit. Joues creuses, visage émacié. Il regarde devant lui d’un air absent. Céline se présente et lui montre son instrument de musique : un clavicorde, ancêtre du clavecin. Lorsqu’elle ouvre le couvercle cela fait un peu penser à une grande boîte à musique.

Elle propose de jouer quelque chose. Le Monsieur acquiesce à peine, d’un mouvement quasi imperceptible. Mais dès les premières notes il ferme les yeux et semble gagné par un profond apaisement. Il n’a plus cet air absent, mais adopte au contraire une posture de recueillement, presque méditative. Les notes résonnent doucement, le temps est comme suspendu.

A la fin des morceaux il n’ouvre pas les yeux, ne bouge pas pour applaudir. S’est-il endormi ? Céline continue de jouer, jetant parfois de rapides coups d’œil vers lui.

Le dernier morceau se termine. Après ce bref instant où les notes semblent encore emplir l’espace, l’homme ouvre lentement les yeux en souriant et prononce un mot, un seul mot dans lequel tout ce moment prend sens : « merci ».  

Une fois par mois des musiciens de l’ensemble de musique baroque Café Zimmermann, dont fait partie Céline Frisch, viennent interpréter des pièces au chevet des patients du service d’Oncologie médicale et Soins palliatifs du Professeur Duffaud (Hôpital de la Timone). Ce partenariat culturel a pu voir le jour grâce aux volontés croisées de Frédérique Surdej, cadre de santé, Sophie Bellon-Cristofol, attachée culturelle à l’AP-HM, et bien sûr les musiciens de l’ensemble, désireux de toucher des publics ne pouvant se rendre aux concerts.

Pour Frédérique Surdej, « on a trop tendance à voir les soins palliatifs comme un service où l’on vient pour mourir. Il y a de la vie ici, des projets de vie. Il faut vraiment insister là-dessus. Et les musiciens font partie de cette vie du service. Les journées sont rythmées par les différents soins bien sûr, mais elles ne se résument pas simplement à cela. Il y a aussi des moments de relation, de partage. Et avec les concerts dans les chambres on est encore dans une approche différente, on change de temporalité. Souvent les familles aussi sont très heureuses parce que cela leur permet de partager un moment agréable avec leur proche ».

Il y a c’est vrai une forme immédiate de reconnaissance de la part des patients, surpris que des musiciens prennent la peine de se déplacer jusqu’à leur chambre. Ils considèrent cela comme un moment privilégié, mais c’en est un aussi pour les artistes : « on ne sait jamais ce qui va se passer mais la musique peut toucher des choses très profondes. C’est aussi un outil de communication pour nous, musiciens », explique Céline.

« Je suis encore plus attentive à ce que je joue, j’essaye de plonger au maximum dans la musique et je perçois souvent chez les patients une qualité d’écoute, de silence qui me touche. Il y a des moments d’échanges très forts, des moments d’humour aussi, et ce sont parfois des détails infimes qui indiquent que la musique est accueillie et appréciée : une respiration qui se fait plus lente et profonde, un pied ou une main qui battent la mesure. »



Dans une autre chambre se trouvent un homme alité, sa femme assise près de son lit en train de lire. Après avoir écouté deux morceaux, elle dit à Céline : « j’ai eu l’impression de me retrouver à la cour du roi. Il vous manque le costume d’époque ! » puis lance en riant à son mari « Ferme les yeux tu verras, tu vas devenir roi ! »... et les plaisanteries de se poursuivre dans la bonne humeur. La musique est un médiateur, elle suscite tantôt les larmes ou la joie, apaise les tensions ou insuffle une énergie nouvelle, ravive des souvenirs ou permet de revenir à l’instant présent. « C’est un remède », résume un patient.

« Plusieurs personnes nous ont dit qu’elles avaient comme oublié que la musique tenait une place dans leur vie. Qu’elles aimaient en écouter chez elles régulièrement. Il leur est alors venu l’envie d’avoir de quoi en écouter pendant leur séjour. Les actions culturelles peuvent aussi avoir ce type d’effet, les patients réinvestissent certains aspects de leur vie, mis de côté à cause des épreuves qui leur sont tombées dessus et qu’ils ont à traverser. », raconte Frédérique.

C’est sans doute cela qui est si émouvant dans la présence des musiciens au sein du service : elle atteste que même quand le corps est malmené, même au seuil de la mort, on peut toujours se placer du côté de la vie. 
 
Les interventions des musiciens de l’ensemble Café Zimmermann, en résidence au Grand Théâtre de Provence, s’inscrivent dans le cadre du projet Parcours d’Hospitalité mené par la délégation à la communication et la culture de l’AP-HM.

Avec le soutien de la DRAC PACA, ARS PACA, Région Sud.