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Cibler la dépression avec le récepteur GPR56

Publié le :
19/01/2021 à 16:38
La pandémie a eu pour effet de mettre au second plan certaines recherches scientifiques pourtant exemplaires et d’une portée considérable. C’est notamment le cas d’une étude menée par le Dr Raoul BELZEAUX, psychiatre aux Hôpitaux Universitaires de Marseille, publiée en avril dernier dans la revue Nature Communication. Si elle est passée relativement inaperçue pour le grand public, ce n’est toutefois pas le cas auprès de la communauté scientifique puisque le mois dernier, le Dr BELZEAUX a reçu pour ce travail le 1er prix « Leo & Rachel Hendlisz », décerné par l’Institut universitaire en santé mentale Douglas à Montréal.    


 
La dépression a une prévalence extrêmement forte au sein de la population : chaque année plus de 2 millions de personnes sont diagnostiquées en France. Les approches et les traitements évoluent en permanence, mais certaines formes de la maladie sont encore mal comprises et s’avèrent réfractaires dans environ 20% des cas. La découverte d’un nouveau mécanisme biologique à l’œuvre dans la dépression et la réponse aux anti-dépresseurs pourrait bien changer la donne.
 
Dans trois cohortes différentes de patients souffrant de dépression (une à Marseille et deux au Canada), le consortium de cliniciens et de chercheurs dont fait partie le Dr BELZEAUX a pu démontrer que le récepteur GPR56, aussi appelé ADGRG1, variait en fonction de la réponse aux substances actives utilisées contre la dépression. GPR56 n’était jusqu’à présent pas du tout connu pour être impliqué dans les troubles psychiatriques, mais dans une maladie rare relative au développement cérébral. Il joue en effet un rôle complexe dans la formation des neurones et la maturation du cerveau. Les prises de sang réalisées sur plus de 400 patients attestent d’une présence plus importante de ce biomarqueur en cas de réponse favorable aux traitements antidépresseurs. Pour les personnes résistantes aux traitements ou celles recevant un placébo en revanche, aucune activation du gêne n’est observée.
 
Pour aller plus loin, les chercheurs ont voulu détecter le mécanisme directement dans le tissu cérébral. Il existe à Montréal, où le Dr BELZEAUX a travaillé pendant 2 ans, une banque de cerveaux légués à la science de personnes décédées par suicide pendant des phases dépressives, ou encore accidentellement. Des variations cohérentes dans l’expression du gêne ont pu être mises en évidence, en particulier dans le cortex préfrontal (impliqué dans la prise de décisions et la régulation des émotions), avec une forte atténuation de GPR56 en cas de dépression.

Afin de corroborer ces résultats, une troisième approche méthodologique a été adoptée à Paris au sein du Centre de neuroscience intégrative et cognition (CNRS/Université de Paris). Eleni TZAVARA, médecin et directrice de recherche à l’Inserm, y a exploré avec son équipe la régulation et l’expression de GPR56 dans le sang et le cerveau de la souris. Les mêmes résultats que chez l’homme ont été obtenus : diminution du récepteur dans les modèles de dépression, augmentation si administration d’un traitement antidépresseur. Des tests génétiques et pharmacologiques supplémentaires ont mis en évidence un véritable lien de cause à effet entre l’inhibition de GPR56 et l’apparition de la dépression, sa stimulation et l’obtention d’un effet antidépresseur. En outre, lorsqu’on bloque GPR56 chez l’animal, les antidépresseurs ne font plus effet.
 
GPR56 peut donc être considéré comme une nouvelle cible, à la fois nécessaire et suffisante, dans le traitement de la dépression. Cela ouvre d’immenses perspectives thérapeutiques, notamment pour la recherche de nouvelles molécules susceptibles de réguler l’expression de ce gêne pour soigner la dépression.
 
 
Ce travail est le fruit d’une collaboration étroite entre des cliniciens et chercheurs désireux d’explorer quels peuvent être les apports en psychiatrie de la recherche en neurosciences. Il a été soutenu par la Fondation FondaMental, et a impliqué l’Institut universitaire en santé mentale Douglas, l’Université McGill, des équipes du CNRS, de l’Université de Paris, d’Aix-Marseille Université et des Hôpitaux Universitaires de Marseille.
 
Le Dr BELZEAUX a également reçu en septembre 2020 le prix de la Fondation Pierre DENIKER pour l’ensemble de ses travaux sur les mécanismes des troubles psychiatriques.