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«Tu peux faire quoi pour moi ?» : des recours contre les violences conjugales aux urgences de la Timone

Publié le :
28/09/2023 à 16:59

Cette nuit-là Audrey FRANCIOSINI, infirmière, est en poste quand une jeune femme de 19 ans se présente, visage ensanglanté et tuméfié. Jamais elle n’oubliera ce visage, ni le regard rempli d’angoisse de la jeune femme, ainsi que leurs brefs échanges tandis qu’elle soigne ses blessures.

 

Rouée de coups par son compagnon. Tabassée. Le corps couvert d’ecchymoses. Audrey FRANCIOSINI est frappée en plein cœur par la situation de cette patiente qu’elle sait en danger de mort. Elle ne peut s’empêcher de lancer : « vous ne pouvez pas y retourner, il va vous tuer ! ». La jeune femme plante alors ses yeux droit dans ceux de l’infirmière et répond : « Et là, toi, tu peux faire quoi pour moi ? ». Une question à laquelle, à l’époque, Audrey FRANCIOSINI n’a aucune réponse véritablement pragmatique à apporter. Mais le sentiment d’impuissance et le choc ressentis serviront de déclic.

 

Infirmière aux urgences depuis 2015, Audrey FRANCIOSINI a également une Maîtrise de Droit pénal. Dès 2016 elle s’engage comme volontaire à la Cellule D’Urgence Médico-Psychologique (CUMP). En 2022 elle passe le Diplôme Universitaire Psychotraumatisme, précarité et migrations (Aix-Marseille Université). En janvier 2023, motivée par l’expérience relatée plus haut elle devient IDE référente des violences faites aux femmes et reprend la gestion de la plateforme Violences conjugales aux Urgences de la Timone, bien décidée à ce que toutes les femmes victimes de ce type d’agressions bénéficient désormais d’un accueil structuré, efficace et humain.

 

« La plateforme existait en fait depuis 2020, mais elle n’était pas suffisamment opérationnelle au niveau de la procédure de signalement, de l’orientation ainsi que du suivi. Nous avons tout remis à plat avec les partenaires, la police, la justice, le réseau associatif et les structures d’accueil adaptées. »

 

Il y a des chiffres qui parlent d’eux-mêmes. Depuis le 5 mars 2023, 141 femmes victimes de violences sont passées par les urgences de la Timone, avec 99 cas de violences conjugales, 15 cas de violences sexuelles, 27 agressions physiques intra familiales ou autres (des chiffres certainement en deçà de la réalité). Des femmes qui vivent l’enfer, jusqu’à parfois y laisser la vie.

 

L’une des premières actions d’Audrey FRANCIOSINI a été de créer une véritable équipe à même d’identifier, de protéger et de soigner les victimes, avec 3 infirmier(e)s de jour et 2 de nuit. Elle a ensuite recruté parmi le personnel des « sentinelles », infirmier(e)s ou aides-soignant(e)s volontaires qu’elle a spécialement formé(e)s pour repérer les victimes. Elles sont 34 à ce jour.

 

 

« La formation porte sur la procédure d’accueil et les démarches de signalement, le droit pénal mais aussi l’écoute, l’orientation ou encore la notion d’emprise. Nous faisons également venir des intervenants extérieurs aux Urgences : le Dr Sophie TARDIEU de l’équipe de la Maison des Femmes Marseille Provence, Madame Wanda WRONA, Commissaire détachée à la sécurité de l’AP-HM, des représentants d’Habitat Urgence Femmes ou de l’AVAD… Une formation institutionnelle de deux jours intitulée "Comprendre, repérer et orienter les femmes victimes de violences" est aussi dispensée au sein de l’AP-HM. Rien de tout cela n’aurait pu être mis en place sans le soutien indéfectible de ma hiérarchie : Dr Céline MEGUERDITCHIAN, Directrice des Urgences, Sonia BENSALLAH, Cadre supérieure de santé, Muriel FOGLIETTA, cadre référente des violences faites aux femmes et le Dr Cécilia REYMONET, médecin référent de l’ambulatoire. »     

 

Lorsqu’elles arrivent aux Urgences, les victimes sont immédiatement mises sous identité protégée. A l’enregistrement un liseré rouge sera apposé sur leur nom, leur garantissant qu’hormis le personnel hospitalier, personne ne pourra savoir où elles se trouvent. Un email d’alerte est par ailleurs aussitôt envoyé à Audrey FRANCIOSINI et son équipe. Dans l’éventualité où le conjoint se trouverait dans les locaux au moment de l’admission, la police en est informée et dépêche un équipage chargé de l’appréhender et de l’interroger au commissariat.

 

Le personnel demande aux patientes si elles veulent directement déposer plainte ou encore remplir une fiche d’adressage pour la Maison des Femmes. Un examen par un médecin légiste permettant le déclenchement d’une procédure judiciaire peut également être proposé. Dans tous les cas, un signalement est transmis par email à la police, à l’AVAD et au Département de Médecine Légale. Des flyers informatifs sont remis aux patientes et l’infirmier(e) spécialisé(e) leur détaille tous les recours possibles. Pour assurer leur suivi, une transmission sera inscrite dans le dossier patient informatisé ainsi que dans un registre propre à la plateforme Violences conjugales.

 

« J’aimerais que l’on parle de ce projet avant tout pour les victimes. C’est un moyen plus simple pour elles de trouver de l’aide car elles peuvent prétexter un problème de santé, une douleur. Elles pourront ensuite se retrouver avec un soignant ou une soignante en tête à tête, sans être suivies par leur conjoint, sans craindre qu’il soit au courant de leur démarche. Il faut que les victimes sachent que cela est possible et qu’elles auront à leur côté des professionnels formés, engagés, à l’écoute, capables de mobiliser tout un réseau afin d’assurer leur protection. »

 

Aucun coup n’est permis. En cas de violence tous les recours, eux, le sont. Comme franchir le seuil des urgences.

 

Numéro d’urgence pour les violences conjugales : 3919