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De la mutilation à la reconstruction : des parcours de soins pour les femmes excisées

Publié le :
06/02/2025 à 10:10

De vieilles femmes du village sont venues les réveiller à 6h du matin et leur ont apporté des tenues de cérémonie. Puis on leur a demandé de se mettre en rangs. 150 filles de tous âges, les unes derrière les autres, prêtes à avancer en files indiennes. La veille, une grande fête a été donnée en leur honneur. Chaque famille a amené sa contribution : 2 litres d’huile de palme, 3 morceaux de viande, 10kg de riz et aussi 5 000 francs guinéens présentés au chef du village. La soirée a résonné aux rythmes des chants, du tam tam et du balafon. Des représentations de théâtre et de danse ont été données, c’était une grande fête joyeuse qui s’est prolongée jusque tard dans la nuit. Le réveil a été difficile mais les vieilles femmes les ont encouragées, leur ont dit combien cette journée est importante. Elles vont entrer dans l’âge adulte, être accueillies dans le cercle des femmes. Il y a des filles venues au pays pour les vacances, des filles d’autres villages aussi. Certaines sont encore très jeunes, des enfants, des bébés.

Elle et sa sœur sont parmi les plus âgées. Elle a 19 ans, sa petite sœur 17.

La procession se met en mouvement. Les vieilles du village entonnent des chants traditionnels, certaines s’accompagnent d’instruments. Parmi elles, leur grand-mère paternelle. 5 km de marche, jusqu’à la lisière d’une forêt où seules les femmes sont autorisées à pénétrer. Si un homme venait à enfreindre cette loi, la folie ou la mort s’abattrait immédiatement sur lui. Les jeunes filles sont alignées en deux rangs. On les fait avancer sous les arbres, puis elles sont emmenées une par une au cœur de la forêt. C’est son tour, son cœur bat plus vite à présent. Après quelques pas encore, elle parvient à une petite case ronde où l’accueillent neuf femmes, dont sa grand-mère. Elles lui demandent de se déshabiller, puis de se coucher sur des nattes disposées au sol. Quatre femmes se saisissent de ses membres à gauche, les quatre autres font de même à droite. Sa grand-mère lui maintient la tête vers l’arrière, le visage tourné vers le ciel elle ne peut plus voir ce qui est en train de se passer. Elle est terrifiée et bientôt une atroce douleur dans l’entrejambe la fait tressaillir. Les vieilles femmes la maintiennent plus fermement encore pendant que la souffrance se diffuse, insoutenable.

« J’ai crié, j’ai hurlé de toutes mes forces. Ensuite elles ont appliqué un produit à cet endroit. La sensation était horrible, comme si l’on avait mis du piment sur ma plaie. »

Ce n’est qu’après qu’elle aperçoit le petit couteau ensanglanté. Ce même petit couteau utilisé pour les filles avant elle et pour les suivantes. Ce n’est que des années plus tard qu’elle apprendra que la mutilation génitale qu’elle a subie est de type 2 B * : ablation du clitoris et des petites lèvres.

Les femmes la relèvent, lui donnent un bâton sur lequel s’appuyer pour pouvoir tenir debout. Sa tête tourne, elle ressent encore une douleur très intense, ses jambes flageolent. Elles la conduisent jusqu’à l’une des nombreuses cases construites dans la forêt. Comme les autres jeunes filles excisées, elle devra y rester trois mois durant, le temps que son corps cicatrise. Elle ne reverra jamais sa petite sœur, décédée des suites d’une hémorragie.

Nombreuses aussi sont celles qui feront une infection, oscillant des jours durant entre la vie et la mort. La mort dans la chair, la mort dans l’âme.

« Dans cette forêt, tu es vraiment entre la vie et la mort. Chaque jour on te réveille à 5h, il faut se tremper dans une bassine d’eau chaude avec des plantes, pour accélérer la cicatrisation. Il faut se tenir debout au soleil, écouter les injonctions éducatives des aînées : à partir de maintenant tu devras obéir, respecter les interdits. Si jamais tu te comportes mal, le clitoris va repousser et tu devras revenir ici. Si jamais tu reviens, cette fois tu n’en ressortiras pas. »

Au bout d’une semaine, les femmes lui scarifient le bas du dos. Un signe distinctif attestant l’accomplissement du rite de passage.

Au bout de trois mois, elle et les autres filles peuvent enfin sortir. Vêtues de pagnes traditionnels envoyés par leur famille, elles rejoignent les membres du village qui les attendent à l’orée de la forêt. Sous aucun prétexte elles ne doivent regarder en arrière. Sous aucun prétexte elles ne doivent regarder les gens en face. Les yeux baissés, elle gagne le village avec les autres, pour la célébration de leur nouveau statut. Tout le village est à la fête, sauf elles. Le corps mutilé, le cœur meurtri.

La Guinée est le deuxième pays le plus touché par l’excision. La pression sociale y est extrêmement forte avec près de 97% des femmes ayant subi cette pratique. Celles qui y ont échappé enfant, se voient fréquemment contraintes à l’âge adulte par des membres de leur famille, par leur mari. Les jeunes filles qui vivent en France sont parfois excisées pendant les vacances d’été où elles rentrent au pays. En France, les auteurs d’une excision sont passibles de 10 à 20 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende. On estime toutefois, sur le territoire français, le nombre de femmes excisées à plus de 125 000.

Le récit qui précède a pu être rédigé grâce au courageux témoignage de F, aujourd’hui âgée de 23 ans. A son arrivée en France, encore sous le coup du traumatisme, elle a pu consulter des médecins à l’AP-HM. Son gynécologue et son psychologue l’ont orientée vers la Maison des Femmes Marseille Provence où elle est désormais suivie.

Vers une reconstruction

En plus de l’indispensable travail individuel et collectif pour surmonter le terrible traumatisme, une chirurgie de reconstruction est actuellement envisagée pour F.

Le Dr Emmanuelle COHEN SOLAL, Gynécologue obstétricienne et sexologue, pratique ces interventions depuis une quinzaine d’années, dans le service du Pr AGOSTINI (service de Gynécologie obstétrique de l’Hôpital de la Conception). Elle a toujours considéré cette prise en charge de manière globale, s’appuyant notamment sur les psychologues du service ou encore la Fédération GAMS (Groupe pour l’Abolition des Mutilations Sexuelles).

L’ouverture de la Maison des Femmes Marseille Provence en 2021, dirigée par le Pr Florence Bretelle, a permis d’améliorer et fluidifier les parcours de soins des femmes victimes de mutilations sexuelles avec un accompagnement personnalisé et multidisciplinaire (psychologue, sexologue, assistante sociale, gynécologue…). Les femmes sont également mieux orientées, grâce à un réseau très structuré de partenaires institutionnels, médicaux et associatifs.

Il existe différentes prises en charge, adaptées à chaque patiente (en fonction du type d’excision subi, de son parcours de vie… et de sa demande), décidées au cours de STAFF pluridisciplinaires (psychologue, sexologue, Assistante sociale et Chirurgien).

« La chirurgie n’est pas systématique et nous évaluons toujours l’adéquation entre les problématiques rencontrées par les patientes et les séquelles anatomiques liées à leur excision. Par exemple, pour des excisions de type 1A où seul le capuchon clitoridien a été atteint, les patientes se verront généralement proposer un suivi psychologique et sexologique. A contrario, dans le cas d’une infibulation les patientes auront d’emblée une chirurgie à visée fonctionnelle et médicale. La chirurgie réparatrice peut intervenir à partir du type 1B, qui implique l’ablation partielle ou totale du capuchon clitoridien et du gland du clitoris. » (Dr COHEN-SOLAL)

Cette chirurgie réparatrice consiste essentiellement en une transposition clitoridienne. Il s’agit d’aller chercher sous le tissu cicatriciel la partie du clitoris encore saine, de la décrocher de la symphyse pubienne de manière à réaliser une antéversion de cette portion de clitoris pour la refixer en position anatomique.

« Le clitoris tout entier est sensoriel. On se sert donc d’un tissu sain clitoridien pour recréer un nouveau gland clitoridien fonctionnel. C’est une intervention qui dure environ 45 minutes, effectuée sous anesthésie générale ou péridurale. Elle peut être pratiquée en ambulatoire, si la patiente est autonome et peut réaliser sans souci les soins à domicile. C’est une réponse possible pour les femmes qui ont le sentiment d’avoir été dépossédées d’une part d’elles-mêmes, de leur féminité. »

Chez la plupart des femmes (environ 65% selon les études), la reconstruction joue un rôle bénéfique au niveau de l’image de soi, comme si le corps retrouvait une forme d’intégrité.

« Elles se sentent plus féminines, retrouvent confiance en elles et se sentent plus épanouies aussi dans leur sexualité. Bien sûr, il est n’est pas possible de déterminer, dans ces bénéfices, ce qui relèverait uniquement de l’anatomie et ce qui serait davantage lié à la dimension psychologique. Mais quoi qu’il en soit, cela peut être une étape essentielle dans le processus de guérison du traumatisme. »

Un processus qui est une affirmation courageuse et intransigeante de ce droit fondamental si souvent entravé, bafoué, nié à des fins de domination et sous de faux prétextes : la liberté de disposer de son propre corps.


Il existe 4 grands types de mutilations génitales féminines, eux-mêmes subdivisés en plusieurs catégories. 1 : Ablation partielle ou totale du clitoris et/ou du prépuce. 2 : Ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres. 3 : Rétrécissement de l’orifice vaginal avec recouvrement par l’ablation et l’accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris (infibulation). 4 : Toutes les autres interventions nocives pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques, telles que la ponction, le percement, l’incision, la scarification et la cautérisation.