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Les femmes demandeuses d’asile victimes de violences sexuelles en France

Publié le :
07/11/2023 à 11:40

La vulnérabilité est un état de faiblesse, une situation de précarité. Etre vulnérable, c’est être exposé à des risques, être fragile, sans ressources suffisantes pour se défendre, pour subvenir à ses besoins, se soigner. La vulnérabilité nous concerne tous, à différents moments de notre vie, à différents degrés.

 

Les soignants en savent quelque chose. Ils ont à faire chaque jour avec la fragilité soudaine des corps, la douleur des patients mais aussi leur angoisse, leur sentiment d’impuissance, leur besoin de soins. La vulnérabilité devrait toujours susciter une forme d’empathie, inciter tout un chacun à protéger, à venir en aide. Inciter à être, tout simplement, humain. Nous vivons pourtant dans une société, dans un monde où la vulnérabilité est sans cesse ignorée, déniée ou pire encore : exploitée.   

 

Le Docteur Jérémy KHOUANI en sait quelque chose. Que ce soit à son cabinet de médecin généraliste à la Maison de santé Peyssonnel (3ème arrondissement), ou dans le camion de la PASS mobile où il est praticien contractuel depuis 2020, il est amené à soigner de nombreuses personnes en état de vulnérabilité. Notamment des femmes demandeuses d’asile victimes de violences sexuelles. Plusieurs enquêtes ont déjà révélé combien le périple entrepris pour venir en France peut s’avérer périlleux et traumatisant à bien des égards. Mais dans sa pratique, le Dr KHOUANI reçoit fréquemment des femmes victimes d’agressions après leur arrivée sur le territoire français.

 

Consultation dans le camion de la PASS mobile

 

« Nous avons décidé de lancer une étude sur ce sujet car c’est un phénomène qui n’était absolument pas documenté ni même abordé. Il y avait une réelle lacune à ce niveau » explique le Dr KHOUANI, qui est également Chef de clinique à la Faculté de Médecine, affilié au Département de Médecine Générale et au laboratoire CEReSS (Centre d'études et de recherche sur les services de santé et la qualité de vie).

Pour mener à bien ce travail de recherche sur l’incidence des violences sexuelles chez les femmes demandeuses d’asile récemment arrivées en France, une convention inédite a été signée entre l’AP-HM et l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII). Grâce à son fichier national de recensement, l’OFII a identifié dans la région 1299 femmes susceptibles de participer à l’enquête et a entrepris d’entrer en contact avec elles. 879 étaient injoignables, donc potentiellement livrées à elles-mêmes, sans que personne ne soit en mesure de savoir ce qu’elles deviennent. Parmi les femmes contactées, 273 d’entre elles ont donné leur accord pour témoigner. Elles ont été directement reçues à la PASS ou, lorsque cela n’était pas possible, recontactées par téléphone.

 

« Sans cette collaboration avec l’OFII et tout le travail préalable réalisé par leur équipe, l’étude n’aurait jamais pu avoir une telle ampleur. Il faut également saluer l’apport du Pr Pascal AUQUIER, Directeur du CEReSS, dont l’appui méthodologique a été extrêmement précieux, ainsi qu’Anne DESRUES, sociologue qui a mené la majorité des entretiens. »

                                                                                                                              

Publiée dans The Lancet – Regional Health Europe en septembre dernier, l’étude permet de prendre toute la mesure du phénomène : 26,3% des femmes incluses avaient subi une violence sexuelle au cours de l’année en France, avec 4,8% de viols (soit un risque 18 fois plus élevé qu’en population générale). Sur les 17 femmes violées, 15 l’ont été plus d’une fois, avec un risque majoré lorsque des violences sexuelles avaient été perpétrées à leur encontre avant leur arrivée sur le territoire. En outre, 40,2% de ces femmes avaient subi une mutilation sexuelle (56,3% des femmes africaines étaient concernées). Ces chiffres sont d’effroyables indicateurs de vies et de corps meurtris, abusés, brisés, sachant que moins d’une victime sur dix consulte par la suite un service de soins. On pourra également noter qu’en 2021, seules 26,4% des femmes avaient obtenu une protection internationale de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). Beaucoup de celles qui s’étaient vues refuser cette protection avaient pourtant subi une excision dans leur pays d’origine.  

 

« Ce que nous décrivons dans l’étude met en lumière des rapports de force, de domination pouvant permettre de mieux comprendre le phénomène des violences sexuelles non seulement chez les demandeuses d’asile, mais aussi dans la population générale. Cela sert à la lutte contre les violences sexuelles de manière globale. Les résultats montrent que les femmes qui n’ont pas de compagnon en France et ne se voient pas accorder d’aide à l’hébergement sont plus vulnérables, davantage exposées aux agressions et à toutes sortes de chantages. Mieux comprendre permet de mieux organiser l’accueil, les soins et le suivi. Une collaboration étroite entre les différentes structures est essentielle, il faut développer le recours à l’interprétariat, effectuer auprès de ces femmes tout un travail de prévention, de mise sous protection et d’écoute, notamment dans les mois qui suivent leur arrivée en France. » 

 

A ce titre, dans la Maison de santé où il exerce le Dr KHOUANI a mis au point avec toute l’équipe un protocole de prise en charge dédié : soins physiques et psychiques, mais aussi soutien de la part d’assistantes sociales et médiatrices en santé. Le travail en réseau avec les différentes structures d’accueil et de soins est également essentiel et parmi celles-ci, on peut citer la Maison des Femmes Marseille Provence avec laquelle le protocole a été discuté.