Alimentation et maladies métaboliques : Rencontre avec trois diététiciennes du service de Neuro-Métabolisme pédiatrique

Il existe près de 7000 maladies rares qui touchent 1 personne sur 2000, soit près de 3 millions de patients en France et 300 millions dans le monde. Au sein de l’AP-HM, l’activité maladies rares est riche : 87 centres sont présents dans les services et prennent en charge plus de 50.000 patients par an. Tous les mardis, la plateforme d’expertise maladies rares de l’AP-HM partage avec vous les actions réalisées autour des maladies rares à l’AP-HM: publications scientifiques, participations à une étude, présentations de centres ou d’événements, paroles de patients ou de soignants, etc. Une façon de mettre en valeur et faire connaitre le travail remarquable des professionnels de santé pour accueillir et aider au mieux les patients et les familles touchés par les maladies rares. Suivez nous sur notre site internet ou notre page LinkedIn

Les Maladies Héréditaires du Métabolisme (MHM) sont la conséquence du déficit d'origine génétique d'une enzyme ou d'un transporteur impliqués dans une ou des voies métaboliques. Ces maladies peuvent être régulées grâce une alimentation adaptée en utilisant des prises en charge diététiques spécifiques. Trois diététiciennes, Aurélie ORBAN DE XIVRY, Dorine HAMPARSOUMIAN et Isabelle SARUGGIA, ont accepté de répondre à nos questions sur leur métier et leurs rôles dans le traitement de ces maladies. Elles travaillent dans le service de neuro-métabolisme pédiatrique de l’hôpital de la TIMONE Enfants au sein duquel 5 centres de références maladies rares sont représentés : le centre de référence coordonnateur des déficiences intellectuelles et polyhandicaps de causes rares et le centre de référence des épilepsies rares dont le responsable est le Professeur Mathieu MILH, le centre de référence coordonnateur des maladies héréditaires du métabolisme, le centre de référence pour les maladies mitochondriales de l'enfant à l'adulte et le centre de référence des maladies neuromusculaires de l’enfant dont le responsable est le Professeur Brigitte CHABROL.

Les diététicienne de la plateforme maladies rares de l'ap-hm

Dorine HAMPARSOUMIAN (à gauche), Aurélie ORBAN DE XIVRY (au centre) et  Isabelle SARUGGIA (à droite) sont diététiciennes au sein du service de neuro-métabolisme pédiatrique de l’hôpital de la TIMONE Enfants.

Bonjour, pouvez-vous nous décrire votre parcours avant d’occuper votre poste actuel ?

Isabelle SARUGGIA (IS) : J’ai exercé mes fonctions en pédiatrie dès le début de ma carrière, tout d’abord en oncohématologie puis en endocrinologie. Il y a 20 ans, j’ai rejoint le Professeur Brigitte Chabrol lors de l’accréditation du centre de référence des maladies héréditaires du métabolisme (COMMET). J’ai depuis travaillé à la prise en charge spécifique des patients de ce centre. Deux diététiciennes, Dorine HAMPARSOUMIAN et Aurélie ORBAN DE XIVRY m’ont successivement rejoint.

Aurélie ORBAN DE XIVRY (AOX) : Pour ma part, je suis arrivée il y a 6 ans. Il s’agit d’une reconversion professionnelle après une expérience en tant que réalisatrice de films.

Dorine HAMPARSOUMIAN : Après des études d’infirmière, je me suis réorientée vers le métier de diététicienne nutritionniste. J’ai exercé pendant plusieurs années en tant que diététicienne thérapeutique dans un centre de rééducation de l’appareil locomoteur et dans le même temps comme diététicienne de restauration collective dans un institut médico-éducatif (IME) pour les personnes polyhandicapées. J’ai rejoint mes collègues au sein du service il y a maintenant plus de 2 ans.

Quels sont vos rôles dans le centre de référence des Maladies héréditaires du métabolisme ?

En tant que diététiciennes, nous jouons un rôle clé dans la prise en charge des patients atteints de pathologies métaboliques rares.

Notre activité principale consiste à élaborer et à mettre en place des protocoles nutritionnels adaptés à chaque maladie, en tenant compte des spécificités biologiques et des besoins individuels des patients. Ces protocoles sont souvent complexes et nécessitent une expertise approfondie, notamment pour les pathologies qui imposent des restrictions strictes, comme les troubles du métabolisme des acides aminés, ou les troubles du métabolisme énergétique. 

Nous accompagnons les patients et leurs familles dans la compréhension des recommandations diététiques et dans l’adaptation de leur régime alimentaire au quotidien. Nous assurons également un suivi régulier pour évaluer l’efficacité des régimes et prévenir les décompensations.

D’autre part, nous participons activement à des travaux nationaux et à la mise à jour des pratiques professionnelles, en collaborant avec des réseaux de santé, des experts et des chercheurs.

Enfin, nous jouons un rôle essentiel dans la formation du personnel médical et paramédical, en les sensibilisant aux enjeux nutritionnels des maladies métaboliques et en leur fournissant des outils pratiques pour améliorer la prise en charge des patients.

Comment êtes-vous organisés dans le service ?

IS : Tout en étant pluridisciplinaires, nous avons chacune des domaines de compétence dédiés. Pour ma part je prends en soin tous les patients ayant des pathologies à régime du centre COMMET. Mon temps est complété par ma  collègue Dorine HAMPARSOUMIAN qui m’aide à prendre en charge ces patients.

DH : Je m’occupe principalement des régimes pour les patients atteints de phénylcétonurie, une maladie génétique qui empêche l’assimilation d’un acide aminé appelé phénylalanine ce qui est toxique pour le développement du cerveau.

AOX : Pour ma part, je m’occupe essentiellement des régimes cétogènes (très riches en lipides) pour les patients du centre de référence des épilepsies rares et du centre de référence des maladies mitochondriales. Je prends en charge également le suivi de certains patients du centre COMMET.

Quels âges ont les patients que vous recevez ?

Nous recevons des patients de la naissance à la majorité.

À la naissance, le dépistage néonatal est proposé aux parents de chaque nouveau-né. Il repose sur le prélèvement de quelques gouttes de sang sur un carton Guthrie afin de rechercher la présence de 13 maladies dont 9 concernent des erreurs innés du métabolisme : la phénylcétonurie (1972), le déficit en Acyl-COA déshydrogénase des acides gras à chaines moyennes (2020), la leucinose (2023), l’homocystinurie (2023), la tyrosinémie de type 1 (2023), l’acidurie glutarique de type 1 (2023), l’acidurie isovalérique (2023), du déficit en déshydrogénase des hydroxyacyl-CoA à chaîne longue (2023), et du déficit primitif du transporteur de la carnitine (2023). Les patients dépistés à la naissance peuvent directement être suivis dans le centre COMMET. Les parents sont généralement hospitalisés avec leur enfant quelques jours afin de mettre en place le traitement et d’apprendre à faire les mélanges requis.

Lors du passage à l’âge adulte, une consultation pluridisciplinaire de transition a lieu au sein de l’APPART’,  puis le transfert se fait avec l’équipe adulte qui prend le relais. À l’âge adulte, les régimes sont en général stabilisés. Les femmes enceintes, les grands sportifs et les personnes âgées continuent d’être suivis de manière plus rapprochée.

Comment se passe une consultation ?

Lors de la première consultation, nous faisons connaissance avec le patient et sa famille. Plusieurs critères sont pris en compte pour mettre en place des régimes personnalisés chez un patient, en accord avec les recommandations nationales et européennes, et après validation par le médecin référent :

  • la pathologie
  • l’âge
  • le poids
  • le bilan sanguin
  • le bilan urinaire si besoin

A partir de ces données, nous mettons en place trois types de régimes :

  • Un régime de croisière basé sur la tolérance maximale (valeur patient-dépendant) pour la vie de tous les jours
  • Un régime de demi-urgence dans le cadre d’un risque de déséquilibre métabolique comme une vaccination par exemple
  • Un régime d’urgence per os ou par sonde pour les situations de décompensation cardiaque métabolique (par exemple une infection intercurrente avec forte fièvre)

Ces trois régimes sont valables à un âge précis mais évoluent au cours de la croissance.

Nous prenons le temps d’expliquer en détails l’objectif de ces régimes alimentaires dans le traitement de la maladie et l’intérêt d’une compliance au long cours.

Lors d’une consultation de suivi, nous évaluons l’évolution des critères anthropométriques et biologiques et nous questionnons le patient et sa famille sur les difficultés éventuelles (maison, école, pratique sportive, vacances, sorties, etc.) afin d’adapter les régimes.

Une consultation dure en moyenne entre 30 minutes et une heure. Les patients sont vus très fréquemment notamment les nourrissons et les jeunes enfants. En moyenne nous les recevons 2 à 3 fois par an. Ils communiquent également avec nous par mail et par téléphone.

Combien de consultations en moyenne réalisez-vous par an ?

Nous réalisons entre 150 et 200 consultations par an, sans compter les hospitalisations conventionnelles, les hôpitaux de jour et les réponses faites par mail ou par téléphone.

Qu’est-ce que le protocole local de coopération et pourquoi est-il une avancée dans votre métier ?

En 2023, nous avons rédigé un protocole local de coopération interprofessionnel s’adressant à l’ensemble des pathologies à régime du centre COMMET. Ce dernier a été approuvé par l’agence régionale de santé (ARS), validé par le directeur d’établissement et est opérationnel depuis le 06 Novembre 2023. Il donne lieu à une consultation de diététique métabolique en lieu et place du médecin déléguant. En d’autres termes, en tant que diététiciennes déléguées nous pouvons recevoir les patients sans la présence des médecins suivant un arbre décisionnel validé et pouvons prescrire des ordonnances de denrées diététiques destinées à des fins médicales spéciales (DADFMS). Cela permet ainsi d’offrir aux patients des entretiens individuels uniquement dédiés à la nutrition, qui est l’essentiel de leur traitement dans le cadre de leur pathologie, de donner plus de responsabilités aux diététiciennes du service, de renforcer la relation de confiance patient / soignant et de permettre un gain de temps médical. Ainsi, la prise en charge globale se trouve optimisée.

Avec quels autres professionnels travaillez-vous ?

Dans le service, nous travaillons avec une équipe pluridisciplinaire et avons des réunions régulières avec tous les professionnels et avec des intervenants extérieurs.

Quels sont les répercussions des régimes sur les habitudes familiales ?

Les régimes que nous mettons en place sont contraignants pour les patients et leurs familles. Ils doivent respecter scrupuleusement ces régimes ainsi que les proportions données au quotidien (pesées). Les interactions sociales (repas en extérieur) et la dynamique familiale se voient bien souvent altérées. Aux vues des contraintes importantes et des enjeux que cela représente, la psychologue du service est régulièrement sollicitée pour rencontrer les patients et leurs familles.

Quels sont les principales difficultés que vous rencontrez avec les patients ?

Les principales difficultés que nous rencontrons sont la compréhension (théorique en lien avec la pathologie et barrière de la langue) et la compliance au traitement. Le suivi quasi quotidien au moment où le diagnostic est posé puis le suivi régulier jusqu’à la majorité des patients sont indispensables pour solutionner ces difficultés.

Comment votre métier a-t-il évolué ?

Depuis plusieurs années, les recherches montrent l’importance de l’alimentation dans les problématiques de santé publique. La diététique prend aujourd’hui une place prépondérante pour favoriser une prise en charge globales des patients.

Dans notre centre, les régimes spécifiques constituent l’essentiel du traitement des patients et le rôle des diététiciennes y est valorisé. L’extension du dépistage néonatal nous permet de mettre en place la prise en charge adaptée avant l’apparition des signes cliniques et peut donc modifier l’histoire naturelle de la maladie. Les consultations dans le cadre du protocole de coopération sont une suite logique de cette évolution

 

internet-card-actu-maladies-rares.png